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Le blog de Vitraulle MBOUNGOU

29 juillet 2007

Théophile Obenga : son "Appel à la jeunesse africaine"

Couv_de_livreRencontre avec le célèbre intellectuel africain à l’occasion de la sortie de son livre

Dans son dernier livre, le Professeur Théophile Obenga sort de son registre habituel en lançant un grand Appel à la jeunesse africaine, paru ce vendredi aux Editions Ccinia Communication. Face aux nombreuses tragédies qui touchent le continent africain, celui qui a été l’assistant de Cheikh Anta Diop appelle cette jeunesse à se réveiller, à sortir de son état de désoeuvrement et à agir pour la Renaissance africaine.

samedi 28 juillet 2007,

Appel à la jeunesse africaine est la dernière œuvre de l’historien, égyptologue et linguiste congolais, le Professeur Théophile Obenga. Persuadé que les Africains trouveront leur salut non en Occident, comme semblent le penser bon nombre d’entre eux, mais chez eux, il invite la jeunesse africaine à une meilleure connaissance de son Histoire. Théophile Obenga a étudié la philosophie à l’université de Bordeaux, l’histoire au Collège de France à Paris et l’égyptologie à Genève (Suisse). Il a également suivi une formation en sciences de l’éducation à Pittsburgh aux Etats-Unis. Docteur d’Etat ès lettres, ancien directeur général du Centre international des civilisations bantu à Libreville, au Gabon, il a participé à la rédaction de l’encyclopédie Histoire générale de l’Afrique réalisée sous l’égide de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. Aujourd’hui, il est directeur du département d’études des civilisations africaines à l’université de San Francisco en Californie (Etats-Unis) et co-directeur de la revue d’égyptologie et des civilisations africaines Ankh éditée en France.

Afrik : Pourquoi Appel à la jeunesse africaine est il aussi différent de vos autres écrits ?
Théophile Obenga :
C’est vrai, je m’occupe habituellement d’autres champs de recherche tels que l’histoire linguistique, l’anthropologie… Mais j’ai senti comme une nécessité d’écrire ce livre car nous vivons actuellement de grandes tragédies comme les pandémies, les jeunes qui meurent en mer dans les îles Canaries, le taux élevé de chômeurs dans les capitales africaines…La jeunesse est quasiment désœuvrée. En tant qu’intellectuel, je ne peux pas fermer les yeux sur tout cela. Je me pose donc des questions, je tente de comprendre le pourquoi du comment de ce malheur qui touche tout particulièrement la jeunesse en Afrique.

Afrik : En lisant votre livre, le moins que l’on puisse dire c’est que vous n’êtes pas tendre avec l’Occident : vous écrivez : « Dominer, coloniser, détruire, tel est le destin de l’Occident »...
Théophile Obenga :
Notre couplage avec l’Occident dure depuis le XIII-XIVe siècle. Cela fait donc presque dix siècles que nous sommes ensemble. Nous parlons leur langue, leurs missionnaires ont étudié nos langues, ils sont venus chez nous, nous sommes venus chez eux, etc. Cependant quand nous faisons le bilan de cette longue cohabitation, que retirons-nous de bon ? Nous avons subi une longue traite négrière, il y a eu ensuite la découverte de l’Afrique qu’on a partagée à Berlin selon les intérêts exclusivement européens et non ceux de l’amitié Europe-Afrique. Puis il y a eu la grande colonisation, c’est-à-dire qu’on vous impose une culture, une langue, une administration, des manières de faire, de vivre et de penser qui sont celles du dominateur. On ne nous a jamais enseigné les langues africaines à l’école primaire mais seulement celle du colon. Même aujourd’hui, cette habitude perdure, le français reste la langue officielle dans des pays comme le Congo. C’est donc ce qu’on appelle l’aliénation culturelle, indépendamment de l’esclavage et de l’exploitation coloniale. Prenons l’exemple des matière premières comme l’uranium, lorsqu’ils le prennent au Gabon, ils s’en servent non pour aider au développement de l’Afrique mais pour construire des centrales nucléaires en France. Ils vident le continent africain de ses matières premières afin de développer leur propre continent. Aujourd’hui, ils apprennent la corruption aux chefs d’Etat africains, comment on vole l’argent destiné au service public. Je peux citer les exemples de Loïk Le Floch-Prégent qui a fait de la prison à la suite de l’affaire Elf au Congo, Paul Wolfowitz qui s’est servi dans la caisse de la Banque mondiale au profit de sa campagne, il a été contraint de quitter son poste de président parce que là-bas au moins il y a une justice. Je ne parle même pas de l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. Et ce sont ces mêmes personnes qui sont condamnées pour corruption dans leur propre pays, qui sont pris comme conseillers auprès des Chefs d’Etat africains.

Afrik : Ne pensez-vous pas justement que ces chefs d’Etat ont leur responsabilité dans tout cela parce qu’après tout, on ne leur force pas la main ?
Théophile Obenga :
J’affirme juste que le « mariage » avec l’Europe n’a rien donné, qu’il faut par conséquent passer à autre chose. Malheureusement, nos dirigeants ne l’ont pas encore compris. Beaucoup croient encore en l’Occident. Ce n’est pas mon cas, je sais que mon salut ne viendra pas de l’Occident. Je respecte l’Occident, je fais des affaires avec elle mais contrairement à d’autres je ne le fais pas comme un soumis, un nègre esclave incompétent qui a peur de l’Occident, qui est complexé et qui a un sentiment d’infériorité. C’est fini tout cela, s’il faut traiter avec elle, nous devons le faire d’égal à égal. Malheureusement en Afrique, au Congo en particulier, lorsqu’une personne donne son avis sur une situation, même s’il est bon, il sera toujours moins considéré que celui d’un Occidental. C’est malheureux que les Noirs soient encore esclaves de la sorte. Voilà pourquoi je critique ces relations. Je ne critique pas juste pour critiquer, j’affirme ce que je constate, à savoir la réalité. Concernant nos chefs d’Etats, ils ne comprennent pas l’importance d’être franc devant l’argent, car celui-ci représente un pouvoir extraordinaire. Son rôle est avant tout de permettre le bien-être et le bonheur social d’un pays. Seulement voilà, nos chefs d’Etat manquent cruellement de cette force morale, cette éthique devant l’argent. Le résultat est qu’ils gardent tout pour eux et leur clan au détriment du reste de la population. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’ils ont beau accumulé des millions dans des comptes cachés en Suisse ou ailleurs, à leur mort, cet argent ne leur appartient plus. Ni à eux ni à leur famille. Les héritiers de Mobutu, par exemple, n’ont rien touché des millions de dollars qu’il a laissé dans ses comptes suisses. Il est normal qu’un président ait un certain niveau de vie du fait de sa fonction mais il doit aussi penser au bien-être de son peuple. Ces chefs d’Etat manquent également de patriotisme, ce lien qui lie ton sang à celui de ton sol natal, ta nation. Il faut aimer son pays au-dessus de tout, c’est ce que font les Occidentaux. Le patriotisme, c’est lorsque Sarkozy dit « La France m’a tout donné et en tant que Président je vais tout lui donner ». C’est exactement ce qui nous manque. Avez-vous déjà entendu un leader noir africain dire cela ? A cause de ce manque de patriotisme, ils restent enfermés dans leur clan de villageois, leurs ethnies tout en dirigeant la nation. Dans une nation faite d’ethnies, il y aura toujours des crises et des guerres parce que c’est le Nord qui a le pouvoir, le Sud est frustré et ainsi de suite. Tout cela n’engendre rien de bon.

Afrik : Vous avez également des propos très durs envers le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ?
Théophile Obenga :
Pour moi, ce sont des malfrats. Nommez-moi un seul projet de la Banque mondiale ou du FMI qui a bien marché sur le continent africain ? Aucun ! Le meilleur élève, c’était le président Rawlings au Ghana mais qu’en a retiré son pays ? Tout le monde le dit, la littérature anglophone est encore plus violente à ce propos. Le FMI et la Banque mondiale sont également coscientes de leurs échecs. Ce n’est pas pour rien que beaucoup de pays les quittent, notamment ceux de l’Amérique latine, l’Argentine, le Venezuela, le Chili, le Brésil, etc. Où avez-vous vu une banque se créer pour aider quelqu’un à se développer ? L’essence même d’une banque, c’est de ne penser qu’à ses propres intérêts. Le FMI et la Banque mondiale ont détruit l’Afrique avec leurs plans qui n’ont ni queue ni tête et leur politique néo-libérale. On devrait les traduire en justice pour crimes économiques, il n’y a pas que les crimes de guerre ! Ils prétendent nous inculquer la bonne gouvernance alors que ce sont eux les plus corrompus, je me réfère encore au cas de Paul Wolfowitz.

Afrik : Vous préconisez donc que l’Afrique cesse sa collaboration avec ces institutions comme l’a fait l’Amérique latine. Seulement, il semblerait qu’elle ait peur de ne pas s’en sortir sans elles…
Théophile Obenga :
C’est juste une décision à prendre, les autres l’ont bien fait. Ce n’est pas si dur que cela. Seulement une fois que cette décision a été prise, il ne s’agit pas de rester là à jouer au tam-tam. Il faut s’organiser. Dans le cas de certains pays comme le Congo, ils ont l’hydrocarbure, c’est source de beaucoup de richesse, de plus ils ne sont pas nombreux. En gérant mieux, on peut aider le pays à se développer sans avoir à s’endetter. Maintenant s’il faut s’endetter, on n’ait pas obligé de passer par la Banque mondiale ou le FMI. Les Etats-Unis et la France qui sont des grandes puissances ont des budgets déficitaires. Ils ont une grosse dette vis à vis des pays comme la Chine. Pourquoi n’empruntent-ils pas l’argent à ces deux institutions ? Ils préfèrent, eux, se tourner vers d’autres Etats.

Afrik : Vous prônez également la Renaissance africaine, le panafricanisme : « le futur de l’Afrique est panafricain », dites-vous …

Théophile Obenga : J’ai constaté en étudiant l’histoire du monde que lorsqu’un peuple a été dans la misère, la souffrance, il cherche souvent à renaître. C’est arrivé au Japon avec ce qu’on appelle l’ère Meiji, en Turquie avec la venue d’Atatürk qui a complètement réformé le pays, aux Juifs avec la naissance de l’Etat d’Israël, l’Europe avec la renaissance européenne initiée par Churchill…Cette renaissance s’impose aussi en Afrique car nous avons subi le malheur pendant plusieurs siècles. Que nous reste-t-il, à part renaître à nouveau, reprendre un nouvel élan, un nouvel essor ? Il suffit de se servir de ses ressources naturelles, son intelligence pour se développer. C’est tout à fait normal si l’on suit l’histoire des peuples.

Afrik : Pensez-vous que cela soit possible à l’heure actuelle ?
Théophile Obenga :
C’est tout à fait possible, nous avons tout ce qu’il faut, les cerveaux, l’imagination. Nous sommes largement gâtés par la nature avec les différents fleuves africains, les forêts encore vierges, les animaux sauvages qui n’existent qu’en Afrique, nous avons le sous-sol le plus riche du monde…. On réunit toutes les forces vives de l’Afrique, on fait ce qu’on peut faire pour notre génération. Chacun doit mettre son expérience personnelle et professionnelle au profit du continent. Et s’il y a des obstacles, il suffit de les contourner.

Afrik : D’où la phrase « la diversité culturelle africaine est une force » ?
Théophile Obenga :
Bien sûr. L’idée que les différentes ethnies d’un pays ne peuvent s’unir, c’est n’importe quoi. Plus il y en a, plus nous sommes riches. Il suffit d’avoir une bonne méthodologie pour exploiter toute cette richesse. En France, il y a bien des Bretons, des Bourguignons, des Normands, des Picards, ils sont même plus divers que nous. Et comme ils ont l’esprit, l’âme française, ils n’ont aucun problème de cohabitation. C’est ce qui manque au peuple africain.

Afrik : Vous incitez également dès le début du livre, l’Afrique à se tourner vers l’Asie. Pourquoi ?
Théophile Obenga :
La Chine ne nous a pas colonisés, nous n’avons pas vécu avec elle pendant des siècles. Ils viennent pour leurs intérêts, ils ont leur paradigme. Faisons affaire, « tu gagnes, je gagne ». Après, il suffit d’être vigilant afin de sauver ses intérêts. Alors qu’avec l’Occident, « c’est je fais, je gagne, si tu blague, je te tue ». Les Chinois n’ont pas tué Lumumba. Voilà pourquoi l’Europe est en train de perdre son pré-carré en Afrique. Ils vont perdre le Soudan où il y a du pétrole, le Niger où il y a l’uranium.

Afrik : Vous finissez le livre sur quelques orientations panafricaines…
Théophile Obenga :
Il est important de s’organiser. Par exemple, la jeunesse africaine va se réunir à Bamako et créer un bulletin de liaison de la jeunesse panafricaine, clair et simple que tout le monde puisse lire et comprendre. Un bulletin qui sera aussi diffusé sur Internet et qui informera de l’action des jeunes partout sur le continent africain.

Afrik : Vous travaillez depuis plusieurs années aux Etats-Unis. Pourquoi ce choix et pourquoi pas au Congo par exemple ?
Théophile Obenga :
Avant j’avais une grande maison à Brazzaville, elle a été brûlée pendant la guerre. J’avais l’une des bibliothèques les plus riches d’Afrique. J’avais par exemple Le Code noir publié au temps de Louis XIV, les notes et les lettres que m’écrivait à la main Cheik Anta Diop, une bibliothèque que j’ai mis trente ans à constituer. J’étais complètement anéanti après cela, j’avais l’impression qu’on avait détruit mon cerveau. Il m’était donc impossible de rester au pays. J’ai voulu venir enseigner en France, mais ici la fonction publique ne recrute pas au delà de 50 ans. Ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis. Ils recrutent n’importe qui tant que tu leur apportes quelque chose, l’argent ou le savoir.

Afrik : Qu’espérez-vous concrètement en sortant ce livre ?
Théophile Obenga :
Initier un grand débat sur la Renaissance africaine, ouvrir les yeux à cette jeunesse africaine qui accepte par dépit d’aller mourir dans la Méditerranée, et surtout à nos chefs d’Etats.

Théophile Obenga, Appel à la jeunesse africaine, Editions Ccinia Communication, juillet 2007, 19€

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18 juin 2007

Diaby Doucouré : « Le bon, la douce et la caillera »

Diaby_Doucoure_ok_130x110L’auteur présente son premier roman

Le bon, la douce et la caillera est le premier roman de Diaby Doucouré, directeur d’une maison de jeunes. Préfacé par Faïza Guène, auteure du best-seller Kiffe kiffe demain, ce recueil de neuf nouvelles met en scène Sophie, journaliste d’un quotidien national chargée de réaliser un reportage sur la situation en banlieue, un an après les émeutes de novembre 2005. D’origine malienne, l’auteur qui a grandi en banlieue parisienne a bien voulu répondre aux questions d’Afrik.com.

lundi 18 juin 2007

couv_le_bonDiaby Doucouré, directeur d’une maison de jeunes à Aubervilliers en banlieue parisienne, vient de publier son premier roman, Le Bon, la Douce et la Caillera, en hommage au célèbre film américain, Le Bon, la brute et le truand. Soutenu par Faïza Guène, voisine et amie qui a écrit la préface, et par le photographe Camille Millerand, auteur des clichés présentés au début de chaque nouvelle, le jeune écrivain de 29 ans, dénonce dans ce recueil de neuf nouvelles, le malaise social que connaît la France actuellement. Sur un ton direct, clair et pédagogique, Diaby Doucouré également conseiller municipal socialiste à Pantin, invite le lecteur à venir explorer ces « quartiers impopulaires ». Sorte de « docu-roman » sous la forme de dialogues, le livre aborde ainsi des thèmes très variés tels que la mixité sociale, la laïcité, l’éducation, la discrimination positive, l’intégration, la religion, etc…D’origine malienne, l’auteur rapporte la rencontre entre Sophie, journaliste d’un grand quotidien national venue faire un an après les émeutes de l’automne 2005, un reportage à la cité Lescure d’Aubervilliers, et Sékou, un jeune du quartier très investi dans son association. Il va lui servir de protecteur et de guide lui montrant loin des clichés véhiculés par la télévision, la « vraie réalité » de ces quartiers. Egalement président du pôle français de l’association Blonba dont l’objectif est de lier culturellement la France et le continent africain, Diaby Doucouré est un jeune auteur plein d’idées et d’avenir.

Afrik.com : Pourquoi avoir choisi ce titre ?
Diaby Doucouré :
Le livre compte trois personnages principaux, je cherchais un titre qui illustre bien ces personnages que je désirais mettre en avant. J’ai pensé au film, Le Bon, la brute et le truand et je m’en suis inspiré.

Afrik.com : Pourquoi avoir choisi d’écrire des nouvelles sous forme de dialogue ?
Diaby Doucouré :
Je trouvais ce style novateur et interactif car mon désir était que le lecteur s’imprègne bien des personnages. De ce fait, un récit sous forme de dialogue entre les personnages principaux était intéressant car cela permet d’avoir des choses plus vraies et ne pas être uniquement dans le descriptif.

Afrik.com : Dans votre roman, vous abordez des nombreux thèmes inhérentes aux jeunes des quartiers « impopulaires » comme vous dites, comme les discriminations, le chômage, « l’intégration à la française », la laïcité, la discrimination positive, la crise identitaire, etc. Etait-ce impératif pour vous d’en parlez ?
Diaby Doucouré :
Dans ces quartiers, toutes ces choses que vous citez handicapent les jeunes. Je voulais en parler d’une manière simple car je pense qu’on serait passé à côté de beaucoup de choses si je ne les avais pas évoquées. C’est pour cette raison que j’ai souhaité aborder d’une manière personnelle ces thématiques qui reflètent la réalité.

Afrik.com : Pourquoi avoir choisi les émeutes de novembre 2005 comme thème de départ du roman ?
Diaby Doucouré :
J’ai écrit le livre en janvier 2006, juste après les émeutes. A la suite de ces événements, j’ai voulu donner une image de la banlieue différente de celle décrite alors dans les médias, une image sans clichés ni préjugés.

Afrik.com : Avez-vous eu des difficultés à vous faire publier ?
Diaby Doucouré :
J’ai envoyé mon manuscrit en septembre 2006 à trois éditeurs. Parmi les trois, un a répondu négativement car cela ne correspondait pas à leur ligne éditoriale, un autre était intéressé seulement par une de mes nouvelles qu’il voulait transformer en BD, chose que je vais faire après, et enfin le troisième, L’harmattan qui m’a répondu favorablement.

Afrik.com : Pensez-vous que les émeutes de 2005 ont, en quelque sorte, aidé les nouveaux écrivains dits de banlieue à se faire publier dans les plus grandes maisons d’édition françaises ?
Diaby Doucouré :
Je pense que non, la preuve en est, des personnes comme Faïza Guène par exemple, ont sorti leur premier livre avant ces fameuses émeutes. Il faut cependant reconnaître qu’il est assez difficile de se faire publier en France, surtout lorsqu’il s’agit de la littérature urbaine. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, nous sommes regardés différemment parce que tout le monde veut jouer la carte de la diversité.

Afrik.com : Pensez-vous que ce mouvement « d’écrivains de banlieue » soit un phénomène éphémère du fait de son émergence soudaine ou qu’il est amené à durer ?
Diaby Doucouré :
La littérature est un domaine réservé à l’élite en France, et c’est peut-être cela qui a changé aujourd’hui parce qu’elle a ouvert ses portes à tout le monde. Je ne pense pas qu’il soit éphémère, il y aura toujours des auteurs issus de la banlieue qui se feront publier et qui devront faire face à la concurrence.

Afrik.com : A la fin du roman, vous invitez le lecteur à donner son avis sur la fin plus ou moins énigmatique du récit et à en suggérer une autre sur votre site Internet. Pourquoi cette initiative ?
Diaby Doucouré :
Je voulais voir comment le lecteur avait interprété le récit en l’incitant à fabriquer une autre fin que celle que je propose, et peut-être susciter chez lui l’envie d’écrire une nouvelle ou un roman. Et depuis, j’ai eu pas mal de réactions de lecteurs qui m’interroge souvent sur la fin du roman. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à travers le parcours des deux personnages principaux, les deux frères jumeaux, je mets en lumière deux modèles de vie qui dominent actuellement dans la société française. D’un côté, il y a le fameux modèle républicain français et de l’autre le modèle américain de plus en plus présent. Et on s’aperçoit lorsqu’on analyse par exemple les résultats des élections présidentielles, que c’est le second model qui l’emporte. C’est cette mort que je voulais en quelque sorte amorcer.

Afrik.com : Le point commun entre ces différents écrivains dits de banlieue, c’est la volonté de mettre en lumière des réalités ignorées par beaucoup de Français. Etait-ce également le cas pour vous ?
Diaby Doucouré :
Il est vrai que la majorité des Français ignorent la réalité des quartiers en difficulté, en particulier leur cause. Souvent, on fait un zoom sur ces quartiers lorsqu’il y a un fait divers sans se questionner sur le pourquoi, le comment. Par exemple, comment expliquer l’échec scolaire, le chômage, le manque d’équipements culturels, l’absence du service public dans ces quartiers, etc ? Je pense qu’il est important de voir historiquement pourquoi ces quartiers sont devenus ce qu’ils sont aujourd’hui, ce qui a généré tous ces problèmes. En somme, pourquoi ces quartiers populaires sont devenus impopulaires ?

Afrik.com : Dans le livre, on aperçoit très clairement le côté militant de l’œuvre. Pensez-vous que la littérature urbaine soit en règle générale une littérature militante ?
Diaby Doucouré :
Je dirais oui mais en même temps ce style, nous ne l’avons pas inventé. Lorsqu’on regarde un peu l’œuvre de Molière, le célèbre dramaturge français du 18e siècle qu’on étudie au collège en France, on s’aperçoit qu’il avait également cette fibre militante dans la mesure où il dénonçait aussi les injustices sociales par rapport au système politique et social de l’époque. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui s’est démocratisé dans tous les domaines culturels, que ce soit la littérature, le théâtre, la musique ou le cinéma.

Afrik.com : Vous insistez aussi beaucoup sur le rapport de ces jeunes avec les pays d’origine de leurs parents. Pour quelles raisons ?
Diaby Doucouré :
Cela vient des nombreuses discussions que j’ai pu avoir avec les jeunes de mon quartier. Ils sont souvent en quête d’une identité propre. Comme ils ne sont pas toujours acceptés dans ce pays malgré le fait qu’ils soient Français à part entière, ils cherchent souvent ailleurs cette identité et en règle général il s’agit du pays d’origine des parents. Ainsi, Sekou qui se dit Malien se comporte comme un vrai « toubab » une fois qu’il est au Mali, tandis que son frère Djibril qui se dit Français tout en assumant ses origines, se rend au Mali dans le but de mieux connaître une partie de son histoire afin de continuer sa construction identitaire. Il y a aussi parfois des jeunes qui rejettent carrément le pays d’origine de leurs parents. Tout cela est propre au parcours de chacun. Il me paraissait donc important d’aborder ce sujet et le débat que cela peut susciter. Il était également important pour moi d’évoquer le retour au pays de ces jeunes à l’occasion des vacances scolaires car il est perçu différemment d’un jeune à un autre. Il y en a certains qui le voient comme une sanction de la part des parents.

Afrik.com : Quel rapport entretenez-vous avec le Mali dont sont originaires vos parents ?
Diaby Doucouré :
En ce qui me concerne, je pense que c’est une erreur de nier ses origines, j’assume complètement cette partie de moi, je vais au Mali le plus souvent que je peux. J’ai mis longtemps avant d’y retourner par peur de la déception car on l’idéalise tellement qu’une fois qu’on y est, le choc culturel peut être énorme au point que certains décident de ne plus y retourner.

- Diaby Doucouré, Le bon, la douce et la caillera , éd. L’Harmattan, 2007, P. 176
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9 juin 2007

Mohamed Razane : « Dit violent »

MRazaneL’auteur présente son premier roman

Dis violent est le premier roman de Mohamed Razane, auteur français né au Maroc mais ayant grandi dans un des nombreux quartiers en difficulté de la région parisienne. Publié chez Gallimard, il met en scène dans ce roman au titre évocateur, Mehdi, un jeune champion de boxe thaïe rongé par la haine. Véritable bombe à retardement, le jeune homme de 18 ans ne va pas tarder à exploser et cela malgré l’amour de Marie. L’auteur, qui fait partie d’un mouvement d’écrivains dits "de banlieue" et éducateur spécialisé auprès des jeunes en difficulté, a bien voulu répondre aux questions d’Afrik.

vendredi 8 juin 2007

Pour son premier roman, Mohamed Razane, originaire du Maroc, frappe très fort. Il annonce la couleur dès le départ, ne serait-ce qu’avec ce titre largement suggestif, Dit violent. Il est question de Mehdi, un jeune homme de 18 ans en proie à une montée de violence qu’il tente de canaliser en faisant de la boxe thaïe. Il vit ou plutôt survit, en banlieue parisienne dans le 9-3 avec sa mère, dont le mari a été assassiné par ce même fils qui ne supportait plus sa violence. Il ne fait rien de ses journées, sauf ressasser sa haine et fulminer contre une société qui exclut les plus faibles, des gens comme sa mère et lui. Devenu une véritable boule de violence prête à exploser car n’ayant plus rien à perdre, seul l’amour de Marie, plus âgée et professeur de sociologie, pourrait le sortir de ce cercle de violence dans lequel il s’est enfermé. L’auteur, en France depuis l’âge de 9 ans, a suivi une formation de comédien classique de théâtre et possédait sa propre troupe de théâtre. Il est devenu éducateur spécialisé auprès des jeunes en difficulté après s’être heurté au « plafond de verre » en tentant d’exercer son métier de comédien. Il a débuté sa carrière d’auteur romanesque en écrivant des nouvelles avant de passer au format roman.

Ditviolent_2_82x130Afrik : Comment pourriez vous définir votre roman ?
Mohamed Razane :
C’est une invitation à rentrer dans des réalités qu’on ne donne pas à voir à la télévision. Là en l’occurrence, c’est entrer dans la peau d’un jeune qu’on qualifie facilement de « racaille » à « kärchériser », de « sauvageon », etc… L’idée, c’est de dépasser ces formules lapidaires qu’on nous crache à longueur de journée, notamment les politiques et qui n’ont aucun sens, pour comprendre dans une démarche intellectuelle et tenter d’aller plus loin, voir comment faire avancer les choses. En somme, l’idée de mon livre, c’est de dire que derrière la recrudescence de la violence juvénile, se cache une véritable souffrance.

Afrik : Pourquoi avoir choisi un titre aussi direct, était-ce pour annoncer la couleur ou attirer le lecteur avec un titre « accrocheur » ?
Mohamed Razane :
Dès que j’ai eu l’idée de l’histoire de mon roman, le titre est venu tout seul et je ne l’ai pas changé depuis et la maison d’édition ne m’a pas non plus demandé de le changer. J’avais à peine écrit 10 pages que ce titre m’est apparu et j’ai donc décidé de le garder. Sinon, il est aussi vrai que j’avais ce désir d’annoncer tout de suite la couleur, prévenir le lecteur sur le sujet profond de mon livre.

Afrik : C’est votre premier roman, cela n’a pas été trop difficile de vous faire publier ?
Mohamed Razane :
En fait, cela a été assez magique. Lorsque j’ai fini mon roman et que le moment était venu de l’envoyer à un éditeur, je me suis mis à rêver qu’il était publié dans une maison prestigieuse tout en restant sceptique. Puis après mûres réflexions, je me suis dit que je n’avais pas à avoir de complexe et que cela ne coûtait rien d’essayer. C’est donc ainsi que j’ai pris l’initiative de l’envoyer à Gallimard. Deux jours après je recevais un coup de téléphone de l’éditeur qui voulait me rencontrer très vite avant que je ne le propose à un autre.

Afrik : Vous employez souvent dans le roman l’expression « je survis » et non « je vis ». Pourquoi ?
Mohamed Razane :
Aujourd’hui, on est insidieusement passé à cela. Je peux le dire d’autant plus que je suis acteur social, je vis dans ces territoires et donc je vois cette souffrance aigue. On tient les gens à coup de perfusions d’aides sociales, etc… On les maintient dans l’idée qu’un jour ils vont s’insérer. Si bien que leur vie n’est faite que de cela. Ils sont dans l’insertion perpétuelle, ce n’est plus une étape à franchir par des formations, par tels ou tels dispositifs mais un état. Les gens passent ainsi 10 ans, 15 ans en parcours d’insertion. J’ai l’impression qu’on les pousse à ça. Je ne suis pas paranoïaque mais à un moment donné, on se demande si tout cela n’est pas calculé.

Afrik : Tout ceci nous ramène au personnage principal, Mehdi. Pensez-vous que c’est toute cette souffrance accumulée qui l’amène à être cette sorte de boule de violence prête à exploser ?
Mohamed Razane :
Absolument. Mehdi c’est tous ces jeunes qu’on a vu brûler des voitures en 2005 qui, dans l’incapacité à se projeter dans l’avenir, se sentent acculés, prisonniers. Ils sentent à juste titre qu’il n’y a pas d’avenir pour eux. Et ils rapportent cela aux réalités sociales qu’ils vivent, à savoir la mauvaise qualité de l’éducation nationale et le manque de culture dans les quartiers en difficulté, les discriminations, la police à outrance… Enfin c’est vraiment une population qui est prise d’assaut que par des entrées et des personnes négatives. A un moment donné, ils en ont forcément marre et cela donne ce qu’on a vu en novembre 2005, le choc. Mais finalement, ils n’aspirent qu’à une chose, l’égalité sociale parce qu’ils sont au fond tous républicains, comme le sont les détenteurs de pouvoir qui eux construisent l’inégalité sociale. C’est pourquoi mon personnage, acculé, en arrive à cette extrémité.

Afrik : Est-ce le fait de côtoyer cette misère et cette souffrance dans le cadre de votre métier qui vous a poussé à écrire ce roman ?
Mohamed Razane :
Effectivement je la côtoie au quotidien, je la vis dans mon quartier et à chaque fois, le mot qui me revient, c’est « gâchis ». A côté de cela, quand je vois que les hommes politiques qui sont détenteurs du pouvoir et qui sont les dépositaires de l’avenir de ce pays, de notre pays, en arrivent à utiliser des termes vides de sens tels que « kärchériser la racaille », « sauvageon », je suis révolté. Et à la fin, ces gens en ont marre de répéter « quel gâchis et quel décalage », qu’ils se disent, « ce n’est plus possible ». Et moi en tant qu’écrivain, je me sers de ce moyen d’expression pour investir l’espace de débat public afin qu’une petite porte s’ouvre et que notre discours puisse venir contrecarrer, se mettre en débat avec le discours ambiant. On refuse ce discours qui divise en parlant d’une France où il y a la guerre des communautés avec des Noirs ou des Arabes qui s’affrontent aux Juifs, etc. Mais non, on a grandi ensemble, de la maternelle à aujourd’hui, on s’aime et on fait la France d’aujourd’hui et de demain. Ce n’est pas de notre réalité dont ils parlent. Ils parlent des faits divers qui demeurent des faits divers.

Afrik : Ecrire ce roman était donc pour vous un moyen de révéler une réalité souvent ignorée ?
Mohamed Razane :
Fondamentalement oui. Je me revendique écrivain réaliste. J’en n’ai marre de tous ces écrivains de la place de Paris qui sont toujours mis en valeur dans les médias, alors qu’ils racontent du vide, à savoir la vie des gens de la place qui s’ennuient parce qu’ils ont tout. Pour ma part, jamais je n’écrirais des choses qui ne s’inscrivent pas dans nos réalités contemporaines. J’aimerais être en quelque sorte porte-voix de ces réalités sociales et non représentant car selon moi, personne ne peut se dire représentant de qui que ce soit. C’est pourquoi mes écrits s’inscrivent dans cette réalité sous une forme romanesque qui la rend accessible à tous.

Afrik : D’où ce passage du livre : « il est temps que la banlieue soit racontée par ceux qui la vivent sans attendre que d’autres la fantasment » ?
Mohamed Razane :
Il s’agit là d’une phrase clé du livre qui est une réalité aujourd’hui. Le fait d’écrire un livre qui marche nous donne accès au milieu prestigieux de la littérature, un petit accès empreint malgré tout d’un certain mépris à notre égard, qui veut dire : « on vous donne accès à ça mais dans une zone de tolérance ». Quand je vois les fondements de la pensée des hommes politiques avec qui j’ai pu débattre à certaines occasions, je me rends compte du décalage monumental qui existe entre ce monde et la France, c’est-à-dire le peuple, la plèbe. Et cette phrase renvoie à cela parce que tous ces gens quand ils décrivent ces quartiers en difficultés, ils se basent sur des études faites par des Enarques qui font eux-mêmes leurs travaux à partir d’études faites par d’autres à distance, des gens qui n’y vivent pas ou alors ils passent dans les quartiers interviewer des gens à gauche à droite, glaner des informations, partir et les apporter dans le 8e [arrondissement de Paris, ndlr]. Mais nous, on vit là depuis des années et on a aujourd’hui contrairement à nos parents avant, cet outil intellectuel et culturel qui nous permet de pouvoir investir cet espace d’expression. Il faut bien qu’ils l’intègrent : nous, les Noirs, les Arabes, les « issus de » etc, sommes aujourd’hui leurs égaux. Nous sommes Français tout autant qu’eux, nous aimons cette République tout autant qu’eux, et nous avons la verve tout autant qu’eux. A travers cette phrase, j’invite donc les gens à n’avoir aucun complexe. Ce n’est pas Monsieur Untel qui habite dans le 8e qui va me dire comment ça se passe en bas de mon immeuble. Il a beau s’appeler Finkielkraut et machin, ce sont des gens qui manipulent de l’abstraction.

Afrik : Dans ce sens peut-on dire que cette littérature dite « de banlieue » est une littérature militante ?
Mohamed Razane :
Le terme militant, je l’endosse volontiers, je ne sais pas pour les autres mais ce qui est sûr c’est qu’avec les autres auteurs, avec qui je suis désormais amis, nous sommes tous d’accord pour dire que nous sommes des écrivains réalistes. Nous désirons quelque part que nos écrits aient une utilité au-delà du romanesque qui permet aux gens de voyager. Nous voulons que notre écriture soit une écriture utile, qui rend compte des souffrances injustes d’aujourd’hui. Si c’est cela être militant, oui nous le sommes.

Afrik : Pensez-vous que ce soit justement cela qui vous différencie des autres écrivains français, en plus de votre double culture ?
Mohamed Razane :
La première différence que je vois avec ces auteurs de la place de Paris c’est, autant nous, nous sommes « issus de », autant eux, ils sont « héritiers de ». Ils ont envahi cet espace d’expression médiatique, publicitaire etc, qu’ils se sont accaparés. Ils se le passent de père en fils. Il y en a marre de cet héritage et du braquage de cet espace qui nous revient aussi de droit en tant que citoyens de ce pays qui ont quelque chose à dire. Il faut qu’on y ait également accès. La deuxième différence, c’est que, parce qu’effectivement nous sommes « issus de » ou comme j’aime dire « sortis d’eux », nous avons cet héritage, cette double culture de part nos parents d’une part et du fait d’avoir vécu, côtoyé plusieurs cultures dans nos vies de tous les jours et appris à appréhender l’Autre d’autre part, crée une richesse qu’ils n’ont pas. Le fait de rester enfermé dans leur milieu, d’être toujours entre eux, les empêche aujourd’hui d’être créatifs. Et je pense que si les jeunes des quartiers en difficultés avaient accès à cet espace autant qu’eux ils l’ont, cette réussite littéraire serait encore plus grande ; surtout quand on voit le succès de ceux, très peu d’ailleurs, à qui on a donné la chance d’être édité. Les gens les encensent parce qu’ils ont besoin de cette littérature que je qualifie de « vraie » car elle est porteuse de sens, de vie, contrairement aux romans à l’eau de rose où on fait croire aux gens que c’est cela la vraie vie. L’autre grosse différence, c’est que nous, on a soif de, on est imbibé dans notre peau de notre histoire personnelle, de toute une richesse qui vient de partout et qui est source de créativité. C’est valable en littérature mais aussi ailleurs. Comme je dis toujours, les Godard de demain viendront de nos quartiers.

Afrik : Quel rapport avez-vous avec le pays d’origine de vos parents ?
Mohamed Razane :
Mon cas est assez particulier parce que je suis né là-bas. Je suis venu en France à l’âge de 9 ans donc j’ai un lien matériel et concret avec le Maroc en l’occurrence. C’est probablement cela qui me rend les choses beaucoup plus simple par rapport à la deuxième, voire troisième génération d’enfants d’immigrés qui se sentent souvent « le cul entre deux chaises ». Personnellement j’ai deux pays que j’aime l’un autant que l’autre, que je critique l’un autant que l’autre pour lequel j’ai des ambitions l’un autant que l’autre et je n’ais pas de préférence entre les deux.

Afrik : Que pensez-vous de l’étiquette « écrivains de banlieue » ? N’avez-vous pas peur d’être catalogué comme écrivains ne pouvant écrire sur autre chose et d’y être enfermé ?
Mohamed Razane :
Ce que je constate, c’est que cela a été et reste une porte d’entrée. Mais une fois que nous sommes entrés, il faut qu’on l’oublie parce que nous sommes avant tout des écrivains qui aspirent à l’universalisme. Qu’on inscrive nos personnages dans des réalités de souffrance qui nous touchent ne doit pas participer à nous marquer éternellement dans un espace territoriale précis parce qu’après tout si on pousse la logique, la personne qui écrit depuis la Place de Paris, on pourrait l’enfermer comme étant « écrivains de ». Pourquoi on ne le fait pas pour lui ? Dès lors qu’on vient de territoires en difficulté ou comme on dit banlieue, là, par contre, on vous le marque. Ce que nous disons, c’est que cela nous a permis d’émerger, mais l’idée à long terme c’est d’oublier ça. Et c’est la critique qu’on fait aujourd’hui.

Afrik : Pensez-vous que ce mouvement « d’écrivains de banlieue » soit juste un effet de mode ou qu’il soit amené à durer ?
Mohamed Razane :
Ceux qui pensent que c’est juste un effet de mode ont grandement tort et l’avenir va le leur prouver. Ce type de réflexion est imprégné de cet espèce de mépris, ils se disent : « c’est un phénomène de mode, on va rebondir dessus, on va se faire de l’argent avec et puis ce sera fini ». Ce n’est véritablement pas un phénomène de mode parce que demain cette créativité va s’imposer de plus en plus, c’est un nouveau souffle qui va déborder.

- Mohamed Razane, Dit violent, Gallimard, 2006, 164p., 11,90€
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Photo : copyright Pierre Terrasson


25 mai 2007

Amélie-James Koh Bela : « Mon combat contre la prostitution »

arton11802La combattante acharnée des droits de l’homme présente son nouveau livre

Amélie-James Koh Bela milite depuis plus de 10 ans contre la prostitution africaine en France et en Europe. Dans son nouvel ouvrage, Mon combat contre la prostitution, publié aux éditions Jean-Claude Gawsewitch, elle dresse un constat terrifiant. Prostitution enfantine, prostitutions féminine et masculine... A travers de nombreux exemples observés sur le terrain, bien souvent au péril de sa vie, elle révèle des pratiques révoltantes et des vérités dérangeantes. Elle répond aux questions d’Afrik.com.

vendredi 25 mai 2007

Certaines familles africaines vivant en Europe et en France en particulier prostituent des enfants, avec l’accord implicite des parents restés au pays que cet argent fait vivre. Tel est le constat qu’a fait Amely-James Koh Bela, originaire du Cameroun au hasard d’une enquête menée dans le milieu africain de France à la fin des années 1980. Dès lors, cette femme dont le courage n’est plus à démontrer, n’a cessé de se battre à travers son association Label’Vie devenue aujourd’hui Mayina, pour dénoncer cette odieuse exploitation sexuelle de ces enfants scolarisés dans ce pays, patrie des Droits de l’Home et qui font des « passes » après le goûter et les devoirs. Des enfants mais également des jeunes femmes qui se retrouvent sacrifiés au prétexte d’aider leur famille à sortir de la misère. Grâce à dix ans d’investigations qui l’ont menée de ville en ville, de restaurants en bordels clandestins, très souvent au péril de sa vie, Amely-James Koh Bela a recueilli de nombreux témoignages de proxénètes, clients ou jeunes prostitués, des témoignages à la fois émouvants, bouleversants et troublants qu’elle a consigné dans ce livre qui lui sert de pont pour d’autres projets. Malgré ce sentiment de travail accompli, le combat continue pour cette infatigable battante.

Moncombatcontreprostituion_91x130Afrik : Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce roman ?
Amélie-James Koh Bela :
Juste après mon arrivé en Europe à la fin des années 1980, j’ai décidé d’écrire un livre, L’enfer au paradis, un message aux jeunes Africains où je leur demandais d’envisager d’autres alternatives que le départ. J’essayais de leur faire comprendre que dans les années 2000 l’Europe se fermerait au Sud et s’ouvrirait à l’Est et qu’il y aurait dès lors toutes sortes de politiques pour qu’ils n’entrent pas. Je voulais qu’ils prennent conscience de cela mais surtout qu’ils comprennent qu’ils ont tout ce qu’il faut sur place pour se développer. Afin de mener ce projet à bien, j’ai décidé de faire une enquête dans le milieu africain de France. C’est ainsi que j’ai rencontré trente associations de trente pays différents. Et c’est en inquêtant dans ce milieu que j’ai découvert le trafic de petits garçons prostitués à domicile. Mon livre n’a pas été publié mais cela m’a permis de découvrir ce problème de la prostitution et d’en faire ma bataille.

Afrik : La prostitution des mineurs « dans l’intimité des appartements » est justement un des grands thèmes de ce livre…
Amélie-James Koh Bela :
C’est l’une des premières choses qui m’a choquée : cette prostitution à domicile des petits garçons de 5 à 10 ans, qui font des passes entre le goûter et leurs devoirs. J’ai assisté à ce type de scène, c’est véritablement cela qui m’a fait réagir. C’est ahurissant que cela puisse arriver aujourd’hui en France, surtout quand on connaît le système social français.

Afrik : Justement, de ce fait, on a du mal à imaginer que les adultes autour de l’enfant, ne serait-ce que les maîtresses à l’école, ne parviennent pas à déceler quelque chose…
Amélie-James Koh Bela :
Les maîtresses ne peuvent pas déceler quoi que ce soit parce que l’enfant est conditionné dès le départ. On lui a fait comprendre que c’était normal, tous les enfants font ça mais qu’il ne faut pas en parler. Quand je rentre dans une maison et qu’un enfant de 8 ans me dit pendant que je parle à sa mère : « ne fait pas du mal à ma maman, si je fais ça c’est pour que mes sœurs viennent, ce n’est pas grave ». A cet âge là, on ne sait pas ce que l’on raconte. Pour tomber sur ces enfants, il faut qu’il y ait un flagrant délit ou que l’enfant parle. A ce propos, je pense que chacun a sa responsabilité, notamment les pouvoirs publics et la Préfecture en particulier. Quand on régularise une femme qui soit disant vit dans un petit HLM et survit en faisant des ménages et que la même femme fait entrer quinze enfants dans le pays qu’elle reconnaît comme étant les siens et qu’on la régularise dans les deux ans, moi je demande des comptes à la Préfecture. Personne ne se pose la question de savoir où sont ces enfants, qu’est ce qu’ils font. Ce qui est vraiment dommage, c’est qu’aujourd’hui des personnes innocentes qui désirent faire venir leurs enfants payent pour ces comportements car elles ont bizarrement droit aux enquêtes sans fin. Puis, il faut dire qu’il y a des personnes qui n’hésitent pas marabouter ces enfants. J’ai eu des témoignages de certaines associations de Paris qui ont eu des enfants maraboutés, complètement traumatisés et effrayés car ils pensaient que s’ils disaient quelque chose, ils allaient devenir fou ou mourir.

Afrik : S’agit-il là des choses qui ont été vérifiées car en France et en Occident en générale, beaucoup doutent des pouvoirs des marabouts ?
Amélie-James Koh Bela :
Je peux citer par exemple le cas de ce garçon qui avait été accueilli par une association de la région parisienne qui a d’ailleurs refusé que je la cite dans mon livre, chose que je regrette vraiment car elle a un vivier d’informations. Elle m’a cité des cas concrets d’enfants qui font des crises énormes de transe la nuit au point qu’il faut au moins quatre adultes pour les maintenir. Elle n’a pas voulu que j’en parle parce que ces enfants ne seraient pas officiellement répertoriés comme des enfants prostitués, et comme ils sont mineurs, il faut les protéger.

Afrik : Pourquoi ce livre arrive maintenant ?
Amélie-James Koh Bela :
Ce second livre est différent du premier qui était le cri de douleur d’une femme, une révolte, un choc, et où je voulais interpeller les consciences et pour se faire j’ai choisi la manière violente, en rapportant les événement comme je les avais vécus durant mes enquêtes. Pour ce dernier livre, il y a donc beaucoup de témoignages sur les différents aspects de ce trafic. J’ai décidé de me mettre à côté et de donner la parole aux « victimes » parce que même les femmes qu’on traite de proxénètes, ont elles-mêmes subi des violences dans leur enfance. Elles sont aussi victimes en quelque sorte de ce système, même les clients sont victimes car ils sont convaincus que l’argent qu’ils donnent nourrit les parents des filles prostituées et non les milieux mafieux du monde. J’ai donc donné ici la parole à tous les acteurs de ce milieu, les proxénètes, les prostituées, les clients, les trafiquants, etc…

Afrik : Quelle a été votre démarche pour recueillir les différents témoignages ? Ce n’était pas trop dangereux ?
Amélie-James Koh Bela :
C’était effectivement très dangereux, j’en parle d’ailleurs dans le livre. Il s’agit en réalité de témoignages que j’ai recueillis lors des enquêtes que j’ai faites à la fin des années 1980 et 1990, j’en ai près de 1000. J’en ai mis une partie dans le premier livre, une autre ici et les autres serviront pour d’autres causes. Beaucoup de ces témoins ne sont plus de ce monde aujourd’hui car j’avais pris des cas vraiment extrêmes, des gens qui portaient en eux les séquelles de ce trafic, par exemple des filles malades du sida en fin de vie, d’autres complètement droguées et d’autres avec des infections très graves, toujours dans cette optique de choquer afin de réveiller les consciences. Aujourd’hui j’ai encore des contacts avec d’autres filles qui restent dans ce milieu. C’est mon plus grand drame à l’heure actuelle, ne pas avoir réussi à les sortir de là parce que finalement, elles n’en sortent jamais. Soit elles deviennent proxénètes elles-mêmes en faisant venir des sœurs qu’elles font travailler à leur compte, soit elles deviennent serveuses dans un bar où elles se font tripoter les fesses, ou alors elles épousent des clients.

Afrik : Vous consacrez une grande partie du livre à ce que vous appelez les « mammas ». Qui sont-elles ?
Amélie-James Koh Bela :
Les « mammas » sont les piliers de ces réseaux. Il faut savoir que les personnes qui organisent ces réseaux de prostitution sont des femmes africaines, il n’y a pas d’hommes. C’est la particularité des réseaux de prostitution africaine. En Afrique, ce sont les femmes qui dirigent tout. Elles gèrent la maison, éduquent les enfants et se débrouillent parallèlement pour tenter de gagner leur vie en faisant notamment des petits commerces. C’est donc naturellement qu’on les retrouve en train de trafiquer. Aujourd’hui lorsqu’on regarde ces femmes proxénètes on peut être choqué par leur comportement mais je voudrais qu’on les regarde autrement. Il faut tenter de les comprendre, comprendre comment on en arrive à vendre son enfant. Souvent elles ont elles-mêmes subies des choses terribles durant leur enfance et elles ne font que les reproduire. La société africaine tolère aujourd’hui ces pratiques parce que les gens sont dans une misère psychologique et économique mais aussi parce que cela vient de l’Homme blanc. Tout ce qui vient du Blanc est toujours beau même la pire des choses. Pour moi, si ces femmes peuvent construire ces réseaux, elles sont également les seules à pouvoir les détruire. C’est pourquoi la sensibilisation au problème de la prostitution passe par ces femmes, elles sont donc pour moi aujourd’hui des véritables partenaires et non des ennemies.

Afrik : C’est paradoxale ce que vous dites, surtout lorsqu’on lit cet extrait de votre roman : « les plus grandes violences faites aux femmes en Afrique sont faites par les femmes »…
Amélie-James Koh Bela :
Tout est dans l’attitude parce que lors que vous rencontrez l’une de ces femmes et que vous lui dites qu’elle vend une enfant, elle ne comprend même pas ce que vous dites parce que dans sa tête elle est persuadée du contraire. C’est ça le pire. Il s’agit pour elle d’un processus normal de la tradition que la société africaine a toléré. Elle se dit : « j’ai une copine qui est en Europe, je lui envoie ma fille pour qu’elle ait des amants blancs dans l’espoir qu’elle puisse ainsi trouver un mari. Et la copine aide ma fille à s’en sortir, on n’est pas dans la prostitution ». Je suis déjà tombé sur des « mammas » qui me disaient : « proxénétisme, ça veut dire quoi ? Traduit-le moi en langue locale ». Et comme on n’a aucune explication à lui fournir, elle en conclut donc que si ce mot inventé par les Blancs n’existe pas dans nos langues locales, c’est que le proxénétisme n’existe pas. Ces femmes lorsqu’elles donnent leur enfant à un proxénète, considèrent que faire ce geste c’est exécuter la volonté de Dieu parce que l’enfant est venu sur terre pour sauver la famille, autrement il ne serait pas là. Elles sont vraiment dans cette logique. Elles ne ressentent aucune culpabilité parce qu’elles ne pensent pas faire quelque chose de mal, au contraire il s’agit pour elles d’un geste maternel, d’amour : elles aident leurs enfants à rencontrer un Blanc qui pourrait les épouser et aider ainsi leurs frères et sœurs à venir en France ou en Europe.

Afrik : Vous parlez également du manque de soutien des certaines associations et ONG à votre égard. Comment l’expliquez-vous ?
Amélie-James Koh Bela :
J’ai effectivement souffert du manque de soutien de certaines associations de femmes qui ont mis en doute mes affirmations, juste par ignorance de ce problème ou parce qu’ils ne l’ont jamais vu. Heureusement beaucoup d’autres m’ont soutenu pendant toutes ces années. Au cours de certaines conférences, des femmes africaines sont venues à mon secours en disant à ces associations : « on vous interdit de dire qu’elle ment parce que c’est elle qui est dans la vérité que vous ne connaissez pas. Nos filles, lorsqu’elles viennent vous voir, il y a des choses qu’elles ne vous diront pas et qu’elles lui diront à elle, car vous n’avez pas la bonne couleur et aussi parce qu’elles la connaissent. Ce qu’elle dit, c’est vrai. Ce que nous ne voulons pas c’est qu’elle le dise en public. »

Afrik : Vous évoquez aussi le phénomène plus marginal semble-t-il des jeunes prostitués africains…
Amélie-James Koh Bela :
Il n’est pas si marginal que cela parce qu’il est actuellement en plein boom. C’est juste que les gens n’y font pas attention. Ce phénomène constitue le moyen le plus facile pour les hommes mariés et parfois pères de famille, des étudiants, hétérosexuels ou non de se faire beaucoup d’argent aussi bien de manière occasionnelle que régulière. C’est un phénomène devenu très banal. Certains sont conscient et assument parfaitement ce qu’ils font, alors que d’autres refusent de le faire et considèrent qu’il s’agit juste d’un accident de parcours et se cachent.

Afrik : Dans ce roman, vous mettez surtout en garde les jeunes femmes africaines contre le danger des sites de rencontre sur Internet que vous qualifiez « d’armes de destruction massive »…
Amélie-James Koh Bela :
Pour moi Internet tel qu’il est utilisé aujourd’hui est une arme de destruction massive. Beaucoup de jeunes femmes africaines se connectent sur ces sites où en à peine deux minutes, elles vont dévoiler leurs organes génitaux à des inconnus, juste parce qu’il s’agit d’hommes blancs qui leur promettent monts et merveilles. J’ai rencontré trop de filles qui ont été piégées ainsi, elles ont envoyé des photos d’elles nues à des inconnus qui sont partis les vendre. Aujourd’hui les proxénètes se mettent aussi au multimédia, ils utilisent la High-Tech pour leur bizness. Je demande aussi aux filles de respecter certaines valeurs, si elles commencent à se brader ainsi en livrant leur intimité après une minute de connexion sur Internet, aucun homme ne pourra les respecter. Si aujourd’hui ces hommes leur crachent, leur pissent dessus, bref n’ont aucune considération pour elles, c’est parce qu’elles ne leur ont donné aucune raison de les respecter. Mon but est avant tout de leur expliquer qu’Internet est un véritable nid de personnes très dangereuses. Nous avons à ce propos un grand projet qui s’appelle « Internet autrement » ; nous allons discuter avec tous les jeunes dans tous les pays subsahariens pour leur montrer qu’on peut utiliser Internet autrement.

Afrik : Maintenant que ce livre est sorti, quels sont vos projets à venir ? On suppose que le combat continue, que vous n’allez pas vous arrêtez là...
Amélie-James Koh Bela :
Effectivement, le combat continue jusqu’au bout, je ne lâcherai pas. Ce livre était pour moi un pont. Ce livre dépasse aujourd’hui le domaine de la prostitution dans la mesure où on est vraiment dans un combat identitaire. Je passe de la prostitution aux conditions d’immigration des Africains parce qu’aujourd’hui la prostitution est seulement une conséquence de la situation africaine. Beaucoup de personnes partent du continent en espérant gagner dignement leur vie en Europe, mais une fois ici elles se retrouvent dans ce milieu sans vraiment le vouloir. Avec mon association Mayina, on va donc faire un bon pour tout simplement montrer qu’il ne suffit pas de traiter les conséquences mais il faut aussi voir les causes en utilisant par exemple nos traditions, nos cultures. Voir dans nos cultures ce qui nous prédispose dès le plus jeune âge à ces comportements. Dès lors qu’on aura réglé ces problèmes, l’africain pourra alors peut-être changer l’image qu’il a de lui-même, avoir confiance en lui. Le but de ce livre est d’amener les africains à avoir une autre image d’eux-mêmes qui ne soit pas dévalorisante et surtout d’amener les Européens à voir l’Afrique autrement qu’un continent de malheureux, d’incapables, de personnes qu’il faut aider tout le temps. Il sert aussi à dire aux jeunes Africains que l’Afrique a de l’argent, qu’elle est riche, s’ils veulent partir qu’ils préparent bien leur voyage afin de ne pas tomber dans ces réseaux de prostitution ou alors qu’ils restent et tenter de faire avancer les choses sur place. Voilà donc mes combats à venir, repositionner l’image de l’Africain et de l’Afrique dans le monde, changer l’image que les Européens ont de l’Afrique, amener ainsi des prises de conscience chez des Africains qui vont leur permettre de penser d’une nouvelle façon. Il faut miser sur les femmes en premier parce que je l’ai dis au début, ce sont elles qui tiennent ce continent. Le but ultime est de créer de véritables réussites africaines qui seront fêtées, médiatisées, pour montrer à tous sur le continent que nous pouvons réussir. Il y a également un autre grand projet avec les enfants à travers le continent et pleins d’autres choses après.

Afrik : Vous allez mener ces combats à travers votre association Mayina ? Pouvez-vous nous dire quelques mots à propos de cette association dont vous venez de changer de nom ?
Amélie-James Koh Bela :
L’association qui s’appelait auparavant Label’Vie porte désormais le nom de Mayina qui veut dire en langue Boulou, une langue Bantou du Sud et Centre du Cameroun mais qu’on trouve aussi dans la forêt équatoriale en Afrique centrale, « Je veux que ». C’est au sein de cette association où il y a une grande équipe que nous avons décidé de dérouler ces projets dont je viens de vous parlez.

- Mon combat contre la prostitution, Amélie James Koh Bela, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 224p, 2007
- Commander l’ouvrage en ligne
- Le blog de l’association Mayina

20 mai 2007

Wilfried N’Sondé livre « Le cœur des enfants léopards »

WInterview du jeune écrivain d’origine congolaise

Le cœur des enfants léopards ou la descente en enfer d’un jeune homme de la banlieue parisienne qui, abandonné par son premier amour, commet l’irréparable alors qu’il est ivre mort. Wilfried N’Sondé, l’auteur d’origine congolaise fait une remarquable entrée dans la littérature francophone et urbaine en particulier avec ce premier roman publié aux éditions Actes Sud.

samedi 19 mai 2007

Originaire du Congo-Brazzaville, Wilfried N’sondé, chanteur et compositeur de la scène berlinoise qui a grandi dans un quartier populaire de la banlieue parisienne, est un nouvel arrivant dans la littérature urbaine et francophone plus généralement. Le cœur des enfants léopards, roman au titre poétique et énigmatique, rapporte l’histoire d’un jeune amoureux abandonné par son premier amour connue à l’âge trois ans alors qu’il venait de débarquer en France. Désespéré, il noie son chagrin dans l’alcool. Et alors qu’il est ivre mort, il commet un acte malheureux et irréparable. L’auteur installé à Berlin, en Allemagne depuis une quinzaine d’années, jette à travers le portrait de son personnage, « un jeune de banlieue issu de », un regard sombre, désabusé mais convaincant sur les quartiers en difficultés, communément appelés « cités ». Ces quartiers où sont parqués les populations les plus pauvres, souvent immigrées et où les destins des jeunes sont voués à l’impasse par manque de perspectives d’avenir.

couvertureNsonde_69x130Afrik : Comment pourriez-vous définir votre roman ?                                                       
Wilfried N’sondé :
C’est comme un slogan : un cri de rage et d’amour. J’ai essayé au travers d’une fiction de mettre un peu d’humanité sur l’actualité, de donner un visage, un cœur, des sentiments à une population, à savoir la population immigrée pauvre. J’ai donc essayé de parler des sentiments de ces gens à travers ce personnage qui est né au Congo et a grandi en banlieue parisienne et qui étudie à Paris, avec pour objectif de sortir de tout ce qui s’entend, ce qui se dit : « immigration », « intégration », des choses dont on ne sait plus ce que cela veut dire.

Afrik : Pourquoi avoir choisi ce titre poétique et énigmatique ?
Wilfried N’sondé :
Je me suis créé une mythologie du Congo avec une espèce d’intimité entre les êtres humains et les léopards. Dans les histoires ou les contes, notamment ceux sur la chasse que me racontait mon père, il y avait toujours la présence du léopard, qu’on respecte et qu’on craint. Je me suis laissé dire qu’il y avait cette filiation entre les Kongos et les léopards. Aussi je me suis permis dans ma tête une traduction du mot Kongo qui veut dire « léopard ». Et en écrivant le roman, je me suis aperçu que les autres personnage qui ne sont pas du Congo sont aussi dans leur quête de vie, des enfants léopards dans le sens où ils ont cette férocité, cette rage mais aussi cette noblesse du cœur. Il faut rappeler que le livre est avant tout une introspection dans les sentiments, dans le cœur des gens vivants dans les quartiers pauvres même si j’aborde aussi les problèmes économiques et sociaux. Pour moi, les êtres humains sont avant tout des sentiments, ce qu’il y a dans le cœur est plus important que tout le reste.

Afrik : Le roman recouvre beaucoup d’évocations quasi-incantatrices à l’Afrique et son rapport aux ancêtres. Etait-ce une façon pour vous d’assouvir votre envie de connaître vos origines ?
Wilfried N’sondé :
Je connais très bien mes origines parce que c’est moi. Je m’inscris un peu en faux contre cette idée qu’il y a d’un côté une Afrique ancestrale, une Afrique des traditions et de l’autre la modernité. Je pense que la spiritualité des Bantous et des Kongos en particulier, c’est quelque chose d’extrêmement moderne ; le culte des ancêtres, des rites, n’a rien à voir avec le passé. C’est notre modernité, notre vécu, notre spiritualité. Il faut la vivre ouvertement et fièrement. Ce n’est pas un retour en arrière parce que ce sont des choses que je n’ai jamais oubliées et qu’au fond presque tous les Bantous n’oublient pas. Je pense qu’il ne faut pas vivre forcément dans cette dualité. L’héritage de la spiritualité qu’on a, que beaucoup vivent au quotidien, il faut l’affirmer car c’est notre manière de penser. Les Bantous sont mystiques et après quoi ? Ce n’est pas un mal. La sagesse des défunts comme je le dis dans le livre est un ensemble de valeurs qui nous aident à faire les choses bien au quotidien.

Afrik : Quel rapport avez-vous avec le Congo ? Vous y retournez souvent ?
Wilfried N’sondé :
Je n’y retourne pas parce que le voyage est cher. Je suis venu en France en 1973. Je fais partie d’une génération d’immigrés qui avait une mission en venant dans ce pays, celle d’apprendre des choses en Europe, de se former pour aider le pays après. Et donc, je ne voyais pas l’intérêt de retourner au pays les mains dans les poches, pour frimer, faire du tourisme, etc…Maintenant que j’ai écrit ce roman, je pense que je peux y retourner parce que j’ai quelque chose à partager. Mais ce n’est pas parce qu’on quitte le Congo, qu’on n’y vit plus, qu’on perd le lien. Et puis il y a cette idée reçue qu’il faut vivre en Afrique pour être Africain. Ce n’est pas en trente ans de vie en Europe pour quelqu’un comme moi qui vient de plusieurs générations de Kongos, qu’on cesse d’être du pays.

Afrik : On peut donc dire que vous avez une double culture, à la fois congolaise et française ?
Wilfried N’sondé :
J’ai vécu dix ans en France et cela fait quinze ans que je vis en Allemagne. Je n’aime pas non plus l’idée de double culture. Je pense qu’en matière de culture, l’équation une culture plus une culture font deux n’est pas vraiment valable. C’est une culture plus une autre font un. Lorsque j’ai quitté le Congo et que je suis arrivé en France, je ne suis pas devenu un zèbre, moitié Congolais, moitié Français. On change mais on reste une unité et les gens autour de soi changent aussi. Malheureusement cela fait peur et je trouve cela dommage car quand on change on apprend de l’Autre, et vice versa. Donc je dirais que j’ai une culture mosaïque. En côtoyant des personnes d’origines et de cultures différentes, on s’entre-influence, on crée quelque chose de nouveau qui n’a plus rien à avoir avec ce qu’on pourrait penser être la culture congolaise, française ou allemande pure…

Afrik : Pensez-vous que ce soit cette « culture mosaïque » que vous revendiquez, qui fait la richesse et l’originalité de votre style comparé aux autres romanciers français ?
Wilfried N’sondé :
Je ne saurais le dire car on ne peut pas être juge et parti, je ne peux pas m’auto-analyser. On me le dit souvent mais je pense que s’il y a moi, il y en a d’autres. Que ce soit dans les banlieues ou dans les grandes villes du monde où se retrouvent des gens de différents horizons, il se crée quelque chose de nouveau qui explose la culture. Mais il n’y a pas encore des mots pour définir ce qui se passe.

Afrik : Le roman brosse le portrait d’une jeunesse perdue, déracinée et en manque de repères…En tant qu’artiste vous êtes-vous senti justement obligé d’évoquer cette question ?
Wilfried N’sondé :
C’est le propre même de la jeunesse d’être en errance, de se chercher, savoir qui on est, d’où l’on vient, etc… Finalement, le narrateur, tout ce qui lui arrive, le chagrin causé par la fin de son premier grand amour et la catastrophe de la fin, tout cela fait qu’au final, il sent qu’il peut enfin vivre. Il se débarrasse des questions qui le torturaient car il a compris beaucoup de choses. Il retrouve la parole des Ancêtres et la sagesse des défunts, il arrive enfin à surmonter le départ de ce premier amour. Avec toutes ces armes, il part enfin libre dans la vie. Ce livre peut ainsi être vu comme un parcours initiatique. Il n’y a pas de jeunesse perdue, elle se cherche, va de gauche à droite, doute, s’enthousiasme. Et cela concerne la jeunesse du monde entier, pas que celle des « banlieues ».

Afrik : Le texte est dur, violent mais poétique et lyrique en même temps. Il pourrait même être comparé à un slam. Etait-ce volontaire ou c’est venu naturellement ?
Wilfried N’sondé :
Je connais très peu le slam. J’ai écrit beaucoup de poésie et des textes de chanson, cette écriture est vraiment naturelle. J’ai simplement pris une feuille, un stylo et j’ai écrit. Il n’y a pas eu de réflexion, c’est ma manière d’écrire.

Afrik : Dans votre roman vous abordez des thèmes comme la quête identitaire chez les jeunes « issus de » des quartiers pauvres, le racisme et les discriminations dont ils sont souvent victimes, qui sont inhérents à la littérature dite de banlieue. N’avez-vous pas peur d’être catalogué « écrivain de banlieue » ? Et que pensez-vous de ce terme ?
Wilfried N’sondé :
La banlieue c’est quoi ? Neuilly par exemple est une ville de banlieue, si un habitant de Neuilly venait à écrire un livre, on dirait que c’est un écrivain de banlieue ? Quand on me dit « écrivains de banlieue », j’entends : « voilà quelqu’un qui vient d’un milieu pauvre et qui est issu de l’immigration ». C’est effectivement ce que je suis, un immigré d’Afrique noire, pauvre, vivant en Europe. Si c’est cela être un écrivain de banlieue, alors oui je le suis. Je pense qu’on emploi le terme de banlieue pour ne pas reconnaître, pour masquer la réalité des choses. Et cette réalité, c’est la pauvreté, le brassage des populations venue des quatre coins du monde qui amène des changements qui font peur car on veut encore croire que les êtres humains, les identités et la culture sont des choses figées alors que depuis toujours les êtres humains bougent, se mélangent et créent des choses nouvelles.

Afrik : Vous vivez donc en Allemagne depuis une quinzaine d’années, ce qui signifie que vous avez dû faire appel à votre mémoire pour traiter ces thèmes qui sont d’actualité aujourd’hui. Êtes-vous étonné de voir que les choses n’ont pas évolué ?
Wilfried N’sondé :
J’habite dans un quartier de Berlin où il y a 45% d’étrangers, les questions sont les mêmes. Si vous allez dans certains quartiers de New-York ou de Kinshasa, les mêmes problèmes se posent. La pauvreté et la frustration qu’elle engendre, on ne la retrouve pas que dans les banlieues françaises et pas que maintenant. J’ai pris le cadre de la banlieue parisienne comme j’aurais pu le faire avec la banlieue berlinoise. J’aurais pu imaginer une histoire qui se passe dans un faubourg de Bamako ou dans un quartier de Shanghai. Le problème de la question de savoir comment les populations d’horizons différents vont vivre, ce n’est pas seulement un problème typiquement français.

Afrik : Quel regard portez-vous sur les « banlieues » françaises depuis que vous êtes à Berlin ?
Wilfried N’sondé :
Je n’ai pas de regard sur la banlieue parce que la banlieue n’existe pas. Je trouve que la rencontre entre les différentes populations immigrées en France ne se passe pas aussi mal qu’on voudrait le faire croire ; les choses se passent beaucoup mieux qu’on le dit dans la presse ou dans le milieu politique. Je trouve triste qu’au lieu de parler de ce qui se passe bien, on ne parle que de ce qui se passe mal. Souvent, lorsqu’on parle de la banlieue, c’est quand des jeunes garçons disant entre 13 et 25 ans font des bêtises. Mais les gens qui habitent dans ces quartiers, les pères et en particulier les femmes, les mères, les jeunes filles, on ne leur demande rien. C’est aussi pour cette raison que j’ai voulu écrire ce roman pour montrer que certes il y a de la violence et de la peur, mais au quotidien, il y a aussi de l’amour, des rêves, des gens qui vivent. Par exemple, on ne parle jamais de la fraternité qui existe entre ces jeunes aux origines multiples, par contre si l’un d’eux va voler un scooter, ça fait la une des médias. Je trouve cela dangereux car cela stigmatise et crée des tensions là où il n’y en a pas.

Afrik : Vous n’avez pas eu trop de difficulté à vous faire éditer pour ce premier roman ?
Wilfried N’sondé :
Ce roman a pu être publié grâce à un concours d’heureuses circonstances. Lorsque j’ai terminé mes nouvelles, une de mes amies allemande, les a lues, et les a montrées à son père, un célèbre auteur écrivant beaucoup sur Haïti qui, à son tour, les a fait parvenir à Bernard Maillet, directeur de la section Afrique d’Actes Sud, une de ses connaissances. Ce dernier a été emballé mais m’a conseillé pour une première publication, de sortir plutôt un roman. Je me suis alors mis à écrire ce roman que je lui ai ensuite envoyé. Il m’a répondu favorablement quelques mois après.

Afrik : Comment à votre avis pourrait-on expliquer le succès de ces écrivains dits de banlieue ?
Wilfried N’sondé :
Je citerai peut-être une phrase extraite du poème d’Aragon Prologue et qui dit : « La souffrance enfante les songes comme une ruche ses abeilles. L’homme crie où son fer le ronge et sa plaie engendre un soleil plus beau que les anciens mensonges ». Je pense que ce qu’on appelle les jeunes de banlieue, ce sont des gens pauvres issus de l’immigration qui se retrouvent très tôt confrontés à des problèmes. La pauvreté est une sensation de douleur et le fait d’être différent vous empêche malheureusement d’avoir une vie tranquille, c’est-à-dire aller à l’école, apprendre un métier, se marier…Dès que tu sors de chez toi, tu as des problèmes, que ce soit au niveau de la recherche d’emploi ou d’un logement. On est donc amené très tôt à réfléchir, notamment sur le monde, et je pense que c’est ça comme dit Aragon, « La souffrance enfante les songes ». On souffre donc on se met à réfléchir, à créer…comme l’ont fait les Noirs américains avec le Blues, le Jazz et le Gospel.

- Le cœur des enfants léopards, Wilfried N’sondé, Actes Sud, 2007
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4 mai 2007

Rachid Djaïdani, « Viscéral »

arton11656Le romancier évoque son dernier roman et sa démarche créatrice

Après Boumkoeur et Mon nerf, Rachid Djaïdani, un des pionniers des écrivains dit de banlieue, est de retour avec son troisième roman, Viscéral publié aux éditions du Seuil. Dans ce dernier, l’auteur qui est également acteur et réalisateur, nous plonge dans la vie de Lies, entraîneur de boxe dont la vie va être bouleversée par deux rencontres. Il revient pour Afrik sur ce nouveau roman et sur l’actuel succès de la littérature urbaine. Entretien.


mercredi 2 mai 2007

P

our son troisième roman, Viscéral, Rachid Djaïdani a choisi de situer, une fois de plus l’intrigue dans un des nombreux quartiers en difficulté de la banlieue parisienne. Il invite le lecteur à suivre l’histoire de Lies, personnage qui tente de tracer sa voie dans une société qui semble l’avoir oublié comme beaucoup de jeunes de ces « quartiers de haute insécurité ». Boxeur, il enseigne les rudiments de son art aux « petits du quartier » et aux détenus de la prison voisine. Il tient aussi avec un ami, une petite affaire de taxiphone, lieu où se retrouvent les habitants pour appeler à l’étranger. Son destin va être bousculé par deux rencontres, l’une avec une jolie jeune femme, Shérazade et l’autre avec une directrice de casting. Rachid Djaïdani, d’abord maçon, puis boxeur, a fait une entrée renversante dans le petit monde quelque peu formaté de la littérature française en 1999, avec Boumkeur qui s’est vendu à 300 000 exemplaires, suivi de Mon Nerf en 2004. Aujourd’hui écrivain, acteur et réalisateur, il revient avec Viscéral, un roman coup de poing sans compromis ni langue de bois. Il est également l’auteur d’un film documentaire, Sur ma ligne. Tourné pendant l’écriture de son deuxième roman, il y invite le spectateur à suivre les différentes étapes de sa création.

Afrik : Pourquoi avoir choisi ce titre Viscéral ?
Rachid Djaïdani :
Parce que ça se passe dans les tripes. C’est aussi l’idée de rester dans la thématique de l’organique.

Afrik : Comment pourriez-vous décrire votre livre ?
Rachid Djaïdani :
Pour moi Viscéral, c’est un bébé qui est blessé mais qui a déjà la force de grandir tout seul. C’est un bébé que j’aime parce que c’est trois ans de ma vie. Comme je dis souvent, c’est un peu le roman que j’aurais voulu écrire à 16 ans quand j’étais encore dans les halls d’immeuble, mais avec la maturité de mes 33 ans je l’ai écrit avec la rage d’exister.

Afrik : Dans le roman, vous dénoncez le fait que les jeunes des quartiers soient sans cesse analysés par des personnes de l’extérieur qui parlent en leur nom alors qu’ils ne connaissent rien de leur réalité. C’est l’un des points communs avec les autres écrivains dit « de banlieue »…
Rachid Djaïdani :
Effectivement, à travers l’art, les médias, etc, on nous prend la parole alors que c’est nous qui allons mal. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, nous prenons la plume, nous racontons des histoires qui nous concernent et qui ont pour ambition de raconter autre chose que des clichés. Si personne ne met la lumière dessus, les gens continueront à croire que nous sommes des idiots qui n’ont rien dans le cerveau. Il n’y a qu’à voir comment nous sommes caricaturés dans le cinéma français. Encore quand ce sont des vieux qui font ça, on se dit, « on s’en fout, ce sont des has been, ils sont dépassés… » Mais quand tu vois que des jeunes mecs soit disant issus de la banlieue ou qui fréquentent la « branchitude » de Paris, à qui on donne des caméras pour faire des films, font la même chose, à savoir appuyer sur nous comme si nous étions des idiots, ça énerve, surtout quand on pense qu’on leur donne de l’argent pour reproduire des propos à la limite du racisme. Pour eux, un Africain c’est un boubou, un Arabe c’est un voleur, un Chinois vend des nems etc…

Afrik : Vous utilisez également l’expression « discrimination pacifiste ». Qu’entendez-vous par là ?
Rachid Djaïdani :
Le seul moyen de nous exterminer, nous les artistes c’est de ne pas nous donner la parole ou de ne pas nous montrer. C’est sans douleur, c’est pacifique. Le fait qu’on prenne ton roman et qu’on le mette directement à la poubelle sans même l’avoir ouvert parce que les médias aujourd’hui sont dans l’immédiat, c’est de la « discrimination pacifiste ». Faire la promotion de son livre est aussi un moyen de gagner sa vie parce que tout ça finalement, c’est du bizness. Donc la « discrimination pacifiste », c’est comment tuer un artiste en l’appauvrissant.

Afrik : Selon vous la littérature dite « de banlieue » est une littérature militante dans la mesure où elle met en lumière des réalités ignorées par beaucoup ?
Rachid Djaïdani :
Bien sûr. Ce que je ne fais pas avec un micro, je le fais avec une plume. Comme m’ont dit les NTM un jour : « là où nous, on écrit trois ou quatre couplets et des refrains, toi tu écris un roman. Respect ». J’ai une approche hip hop de la littérature.

Afrik : Que pensez-vous du fait que certains parlent de « phénomène d’écrivains de banlieue » concernant ce mouvement de littérature urbaine, comme s’il s’agissait de quelque chose de temporaire qui n’est pas amené à durer ?
Rachid Djaïdani :
Quand j’ai sortit Boomkeur en 1999, j’entendais déjà ce genre de réflexions, « les jeunes beurs à la mode ». Je suis revenu avec Mon nerf, ils m’ont zappé comme si quelque part leur but, c’est de t’éradiquer. Mais il y a de l’espoir parce que je sais que je vais sortir mon quatrième livre. La qualité du travail, c’est ce qui compte aujourd’hui.

Afrik : Vous n’avez pas peur qu’on vous enferme dans l’étiquette « écrivains de banlieue », surtout que vous en êtes à votre troisième roman ?
Rachid Djaïdani :
Ecrivains de banlieue, ok, mais est-ce qu’on leur dit « écrivains bourgeois » ou « littérature de bourgeois » ou littérature de fils de » ? Ils veulent nous réduire à des cafards avec cette tendance à toujours nous stigmatiser, mais les cafards écrivent maintenant, on est là, le béton ne nous a pas détruits.

Afrik : L’absence d’un des parents est un point récurrent dans ces romans, dans le vôtre c’est la mère qui est absente. Comment vous l’expliquez ?
Rachid Djaïdani :
C’est compliqué, c’est toujours pareil quand tu as plein de créations. Dans Boomkeur et Mon nerf, le personnage principal avait ses deux parents, ce qui n’est effectivement pas le cas dans celui-ci. Quand tu regardes l’ensemble de ma création littéraire, tu vois que j’ai essayé de ne pas reproduire ce que j’ai déjà fait. Dans mes deux précédents livre, j’ai voulu exprimer ce que voulait vraiment dire être parent mais je ne peux pas le refaire dans tous mes romans. C’est de la création, fiction non inspirée de la réalité ou d’un vécu. C’est donc un point commun qui est une coïncidence, je pense.

Afrik : Dans ces romans dits de banlieue, il y a aussi souvent la référence au pays d’origine des parents. Dans le vôtre, vous n’en parlez pas beaucoup. Quel rapport avez-vous avec les deux pays dont sont originaires vos parents, le Soudan et l’Algérie ?
Rachid Djaïdani :
Il est vrai que je n’en parle pas beaucoup dans mon roman, c’est parce que je pense que si un jour je devais en parler, j’écrirais un livre qui y sera entièrement consacré, peut-être dans quelques années. Pour ce qui est de mon rapport avec ces pays, je connais un peu l’Algérie. C’est un des seuls endroits avec New York où je me sens vraiment inspiré. Quand j’y suis, je suis habité parce qu’il s’y passe des choses extraordinaires, des choses vraiment magiques.

Afrik : Pensez-vous que cette littérature urbaine, de par les thèmes qu’elle aborde, ne peut être comprise que par les personnes vivant dans les quartiers populaires ?
Rachid Djaïdani :
Je ne crois pas et le fait de penser cela est une fois de plus une façon de créer des ghettos. Si on prend par exemple mon premier livre, Boomkeur, qui s’était vendu à 300 000 exemplaires, il avait marché parce que les gens de n’importe quel milieu social s’étaient retrouvés dans l’état d’esprit des personnages. Maintenant, qu’on dise que c’est une littérature de ghetto, de banlieue, etc, je répond juste : c’est une littérature, point. Après, tant que cela ne me porte pas préjudice et qu’on me donne la parole pour défendre mon art, ça va. Mais qu’on ne retourne pas mon art comme une arme contre moi. Quand j’écris un roman, l’idée c’est aussi de le rendre universel, de faire un pont entre les beaux quartiers de Paris et d’ailleurs avec l’autre côté du périph’. Le problème c’est que les gens, les médias ou autre cassent ces ponts. Ils pensent depuis toujours que les jeunes des quartiers n’ont pas plus de trois mots dans leur vocabulaire. Ce qui est extraordinaire aujourd’hui, c’est que des écrivains issus de ces mêmes quartiers viennent avec des romans qui leur prouve le contraire car ils ont plus de trois mots de vocabulaire et qu’ils leur apporte en plus d’autres mots, d’autres philosophies, d’autres humanités…Ce que je veux dire c’est qu’arriver un moment, il faut qu’on laisse balancer notre vibration, dire ce qu’on a à dire. Les gens qui ne viennent pas des quartiers populaires peuvent ainsi découvrir un monde qu’ils ne connaissent pas. En ce qui me concerne, je dissèque l’âme humaine d’un environnement qui est particulier et qui est celui du prolétaire et du peuple, un environnement que les gens de beaux quartiers ne peuvent pas reproduire. Eux, ils ne peuvent reproduire que ce qu’ils ont vécu depuis toujours, à savoir des livres qu’ils lisent depuis qu’ils sont gamins. Nous, on invente, on crée, on est la nouveauté. Aujourd’hui, la culture urbaine ne se limite plus au hip hop, c’est beaucoup plus vaste. C’est des jeunes du ghetto, des « issus de » qui deviennent écrivains, réalisateurs, peintres, journalistes… Il y a encore quelque temps, tout ça n’existait pas, qui aurait pu croire que du ghetto allait émerger tous ces talents. Et tout ça va faire la France de demain et on va la rendre plus forte parce qu’on aura la tolérance en nous. Il y aura alors en haut des gens intelligents qui commenceront à nous ouvrir les portes, et s’ils ne veulent pas les ouvrir, on les ouvrira nous-même.

Afrik : Pensez-vous que ce soit à cause de ces préjugés sur les jeunes des quartiers populaires qui seraient incapables d’aligner trois mots de vocabulaire que la plupart des gens, en particuliers, les médias et l’intelligentsia littéraire ont été surpris de voir émerger ce qu’ils appellent « le phénomène de l’année » ?
Rachid Djaïdani :
« Phénomène de l’année » ? Alors que j’ai sorti mon premier roman, Boomkeur en 1999, et avant ça il n’y avait aucun roman dit « de banlieue ». En 1999, il y avait une vraie curiosité, et cela a permis à plein d’auteurs d’émerger. En 2007, il y a comme une sorte de réaction négative parce qu’on commence à déranger. Eux, ils viennent comme ils disent avec « leur mèche révolutionnaire » alors que nous, on débarque avec « l’Afro révolutionnaire » et on a envie de dire des choses. Un écrivain qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, si je vois que son roman, dans sa thématique, c’est de la merde, je m’en fous qu’il vienne du ghetto ou du 6e arrondissement de Paris, si ça ne me touche pas, c’est de la merde pour moi. Je n’aime pas lire, donc qu’il ne me fasse pas perdre mon temps. Ce qui se passe dans le monde littéraire aujourd’hui, c’est que nos écrits les dérange d’une certaine manière, non pas parce que c’est violent, mais parce qu’ils n’ont pas nos codes et forcément cela peut enrouer la machine. Moi, je suis écrivain issu de la culture urbaine et du hip hop en particulier. Et le hip hop c’est quoi ? Ce sont des ponts, c’est faire comprendre ma douleur, pourquoi je vais mal, etc… La différence entre eux et nous, c’est qu’eux parlent avec des statistiques, des formules, nous, on parle avec le cœur d’un vécu. Comment tu peux détourner quelqu’un qui est enraciné dans ses convictions et qui a du recul ? Aujourd’hui, nous sommes des intellectuels comme eux parce qu’on a réfléchi sur le sujet.

Afrik : Pensez-vous que c’est votre double culture ou le fait que vous ayez vécu dans des quartiers regroupant des personnes aux origines multiples qui fait l’originalité et la richesse de votre style ?
Rachid Djaïdani :
Tout ce que je peux dire, c’est que la littérature urbaine est un univers qui est nouveau et très fertile. Ce que nous faisons, n’existait pas avant. C’est là qu’est la magie. On essaye de nous lobotomiser mais on est la force, la créativité, l’universalité parce qu’on se met en danger quand on est dans la création. Mon ambition ce n’est pas de raconter mes vacances avec mes potes avec qui j’ai partouzé et ai pris de la coke mais plutôt de faire découvrir un parcours, une blessure, une vie, un espoir et un chemin… Aujourd’hui, ce que j’écris, mon discours, personne ne me l’a appris, j’étais maçon avant. C’est la vie qui m’a appris tout ça, tout ce que j’écris, c’est du vécu.

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Viscéral, Rachid Djaïdani, éditions du Seuil, 2007, 185p., 15€

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27 mars 2007

Le Cauchemar de Darwin, une énorme imposture ?

FInterview de François Garçon, auteur d’une « Enquête sur le Cauchemar de Darwin »

lundi 26 mars 2007

Le Cauchemar de Darwin, film documentaire d’Hubert Sauper, a été salué par la critique et le public lors de sa sortie dans les salles françaises en 2005. Ce film, qui dénonce les effets dévastateurs de la mondialisation en Tanzanie et dans les pays africains, est aujourd’hui remis en cause par un historien du cinéma, François Garçon, dans son livre, Enquête sur le Cauchemar de Darwin, publié chez Flammarion. Interview.

Fruit d’une longue enquête faite sur l’exploitation de la perche du Nil autour du lac Victoria à Mwanza, ville portuaire de Tanzanie, le film documentaire d’Hubert Sauper, Le Cauchemar de Darwin, dénonce le troc monstrueux qui se déroule dans cette ville et qui consiste à échanger ce poisson contre des armes génocidaires. Introduit dans les années 1950, ce poisson est présenté comme un dangereux prédateur qui menacerait la biodiversité et générerait une prostitution locale, la progression du sida et le phénomène des enfants abandonnés. Une thèse avec laquelle, François Garçon, historien du cinéma et maître de conférence à la Sorbonne, n’est pas d’accord, et qu’il démonte point par point dans son livre, Enquête sur le Cauchemar de Darwin. Ce dernier est en quelque sorte la suite d’une contre-enquête publiée dans le n° 635 de la revue Les Temps modernes (nov-déc 2005), près d’un an après la sortie du film. L’historien reprochait déjà au réalisateur autrichien d’avoir instruit uniquement à charge, sans aucune preuve, faisant donc du film une fiction, une mystification et non un documentaire. Il a ainsi provoqué une vive polémique qui a duré des mois durant lesquels il a fait face à de nombreuses critiques. Il est accusé notamment d’appuyer sa démonstration sur une recherche documentaire et non sur une investigation sur place, ce qui va le pousser à se rendre pendant douze jours à Mwanza où il va rencontrer les protagonistes du film, interroger certains spécialistes et scientifiques. De là est né ce livre extraordinairement bien documenté et toujours référencé, qui se révèle être encore plus accablant pour Hubert Sauper accusé d’avoir tout inventé « à des fins purement mercantiles ».

Afrik : Pouvez-vous résumer le film, Le Cauchemar de Darwin, pour ceux qui ne l’auraient pas vu ?
François Garçon :
Sorti en France en mars 2005, Le Cauchemar de Darwin est un film documentaire réalisé sur la base d’une longue enquête faite à Mwanza, ville portuaire de Tanzanie où vivent beaucoup de pêcheurs. Hubert Sauper, le réalisateur, décrit de manière minutieuse un trafic qui s’établit de la manière suivante : des avions en provenance d’Europe se posent à l’aéroport de Mwanza, embarquent un poisson qui s’appelle la perche du Nil pêché dans le lac Victoria et payé avec des armes génocidaires. C’est donc un troc monstrueux où nous, Occidentaux participons en privant la population locale de cette ressource protéinée. En contrepartie, nous leur apportons des armes avec lesquelles, elle s’entretue. Et autour de ce commerce, prolifère la prostitution avec bien évidemment l’épidémie du sida et les enfants abandonnés puisque l’industrie de la pêche a attiré autour du lac des hommes qui ont abandonné leur famille.

Afrik : Pourquoi avoir choisi ce film pour votre enquête ?
François Garçon :
Je ne l’ai pas choisi. C’est un film qui m’est apparu la première fois que je l’ai vu, extrêmement violent et incroyablement démonstratif. Je suis de manière attentive tout qui se passe en Afrique, notamment dans la presse anglo-saxonne. Mais, tant dans la presse française qu’anglo-saxonne, je n’avais jamais lu quelque chose se rapportant à ce trafic. Vu le nombre important d’envoyés spéciaux en Afrique et l’importance qu’a pris ce continent dans le monde médiatique et le nombre considérable d’ONG qui sont au chevet de certains Etats malades d’Afrique, j’ai été intrigué de n’avoir jamais lu une ligne sur ce troc monstrueux. Je suis donc retourné voir le film. Et là j’ai eu une perception radicalement différente. Je me suis rendu compte qu’en regardant de près toutes les histoires rapportées par Sauper, on pouvait apercevoir une étiquette portant la mention « mensonge ». A partir de là, je l’ai soupçonné d’être un formidable imposteur. J’ai donc décidé de lever le voile en écrivant cet article paru dans la revue Les Temps modernes et par la suite ce livre.

Afrik : Que reprochez-vous exactement à ce film ?
François Garçon :
Pour moi, ce film est une énorme imposture qui a été fabriquée par quelqu’un qui a beaucoup de talent mais qui reste un imposteur. Prenant par exemple l’histoire de l’introduction de la perche du Nil dans le lac Victoria présentée comme une entreprise diabolique. On voit un type qui dit : « un jour, un homme, un poisson, un saut et le mal était fait ». Alors que cette perche a été introduite dans ce lac après un long débat de près de 25 ans (1930-1954), opposant les scientifiques qui étaient contre toute introduction de nouvelles espèces par peur de bouleverser l’équilibre écologique, et les politiques qui cherchaient à rendre plus fertile un lac très peu poissonneux. Il y a ensuite la question des enfants abandonnés, un phénomène présent partout sur le continent. Ce n’est donc pas la conséquence de l’exportation et de l’industrialisation de la perche. Ceux du film, nous les avons retrouvés, interviewés et filmés. Ils affirment avoir été payés par Hubert Sauper pour jouer des scènes, notamment celles où on les voit se battre. Cette information a été publiée dans la presse tanzanienne par Richard Gamba, le journaliste d’investigation vu à la fin du film, que nous avons également rencontré. Le journal publie même les sommes données aux enfants. Quant à la prostitution, c’est un phénomène mineur à Mwanza lié à la présence des industries minières qui sont à côté, et dont les employés sont consommateurs de prostituées. Enfin, Hubert Sauper sous-entend que Mwanza est la plaque tournante du commerce des armes sans fournir aucune image le prouvant alors même qu’il est resté six mois sur place et que l’accès à l’aéroport est totalement libre, que la couverture optique de l’aéroport peut se faire facilement du fait d’énormes masses de rochers qui surplombent l’aéroport. Hors lorsqu’on emmène des armes, on a besoin à la fois des grosses logistiques au sol mais aussi de la protection, soit militaire, soit, si elle est mafieuse, paramilitaire. Et là, rien, pas d’image. Bref, il a tout inventé de A à Z. On en a la preuve à deux reprises, notamment lorsqu’il utilise les médias locaux pour étayer sa thèse. Il commence d’abord avec une information concernant la Sierra Léone, à 6 000 Km de Mwanza, publiée dans un journal anglais qui s’appelle Focus on Africa et qui remonte à 1997 ; puis avec une autre dont la majorité de la presse tanzanienne a parlé : le 2 octobre 2001, un avion en provenance d’Israël et en direction d’Angola, s’est arrêté à l’aéroport de Mwanza à cause de problèmes techniques. Les autorités en montant à bord, ont trouvé 35 tonnes d’armes. Cet événement a eu un véritable impact médiatique dans le pays, prouvant ainsi que ce genre de fait est exceptionnel. Je pense que ce film est une énorme salissure faite aux Tanzaniens et à la Tanzanie.

Afrik : Comment expliquez vous le fait que les journalistes ne se soient alors pas aperçus de ce « grand mensonge » ?
François Garçon :
Il y a plusieurs choses. D’une part, il y a les journalistes spécialisés dans la critique cinématographique et il y a les journalistes politiques. Les premiers n’ont aucune connaissance du fond, ils ne connaissent pas l’Afrique, leur seule connaissance qui est également la mienne, c’est celle des clubs de vacance. Ce n’est pas un reproche, simplement, ces gens là devraient s’abstenir étant ignorant, de porter des jugements sur le fond et se limiter aux critiques d’ordre cinéphilique. Hors ils ont été au-delà et ont pris pour argent comptant ce que Sauper leur avait raconté et sont partis dans des dithyrambes consternantes de bêtises. Il y a également les autres journalistes qui sont des spécialistes de l’Afrique. Ces derniers ont été très peu entendus. Ils n’ont participé à aucun jury de cinéma dans les festivals où ce film a été présenté et où il recevait récompense sur récompense. Ce sont souvent des anciens cinéastes ou des critiques cinématographiques qui y participent et qui sont pour la plupart d’entre eux des gens d’une profonde inculture politique. Par ailleurs, pour écrire mon livre, je me suis servi d’une série de thèses qui ont été mises à la disposition des journalistes français par les Tanzaniens eux-mêmes en novembre 2005. Toutes les rédactions parisiennes ont reçu un démenti émanant de National Fishering of Tazania en disant que ce film mentait et argumentant sur le mensonge. Aucun journaliste ne s’est intéressé à ce papier. J’accuse donc les journalistes de se désintéresser à l’information dès l’instant que cela ne vient pas de journalistes blancs. Pourquoi ce document de sept pages très bien documenté émis par des Tanzaniens, dont je me suis d’ailleurs inspiré, n’a pas été repris pas la presse française ? Et pourquoi, moi j’ai eu un tel impact avec l’article paru dans Les Temps modernes ?

Afrik : Et comment l’expliquez-vous ?
François Garçon :
Il y a d’abord un phénomène flagrant, c’est le racisme. C’est déjà un premier élément, c’est-à-dire qu’un argument scientifique, analysé et développé venant d’un Tanzanien n’est pas pris en compte, parce qu’ils se disent qu’ils ont à faire à une information venant d’un pays où la corruption règne, où la vérification des données est impossible et où il est très compliqué de se rendre parce qu’il faut changer trois fois d’avion et sur place il y a des visas à obtenir. Et donc il y a à la fois racisme et paresse. La paresse est un formidable moteur de médiocrité, et la presse française est un extraordinaire lieu de concentration de médiocrité associée à la paresse. C’est la raison pour laquelle, moi étant blanc franco-suisse, mon papier a eu plus d’impact, il était écrit en français en plus, et dans une revue qui était Les Temps modernes.

Afrik : Certains ont incité les citoyens à boycotter cette fameuse perche…
François Garçon :
Ce sont principalement les mouvements alter-mondialistes qui ont incité au boycott de la perche car ils ont été, comme tout le monde, secoués par le film. Je ne peux pas faire de reproches à ces gens d’avoir milité dans ce sens. Mais en appelant à la baisse des aides financières européennes pour la Tanzanie, ils ont accumulé selon moi les démarches d’une profonde crétinerie alors qu’on peut les soupçonner vouloir venir en aide à des populations qui sont en grande difficulté. La Tanzanie est un pays pauvre qui essaye de s’en sortir, et de voir ces gens qui sont des nantis appeler à l’aggravation du martyr de cette population, est une « couillerie » aberrante.

Afrik : Vous avez été énormément attaqué à la suite de l’article dans Les Temps modernes, notamment sur votre passé professionnel et sur le fait que contrairement à Sauper, vous n’avez pas mis les pieds sur place…
François Garçon :
De tous ceux qui ont rendu un hommage sans fin au film, aucun n’a été sur place, tout comme moi qui l’ai éreinté. En quoi mes arguments pesaient moins que les leurs ? Je pense que ce qui doit primer en toute circonstance, c’est l’usage du sens critique, c’est-à-dire vérifier ce qu’a montré et dit Hubert Sauper à l’écran, lors des dizaines, des centaines d’interviews qu’il a données, est cohérent et peut être vérifier à partir de sources, notamment écrites. On m’a également attaqué sur mon passé professionnel. Un certain nombre de journalistes se sont inquiétés de savoir si j’étais un marchand d’armes, un importateur de poissons ou si j’étais associé avec la mafia russe ou si je m’occupais de réseaux de prostitution sur l’Ukraine. Comme j’ai enseigné pendant 20 ans à l’école polytechnique et que j’ai travaillé à la direction de la prospective du groupe Havas, ils m’ont soupçonné d’avoir des liens avec la Françafrique. C’est un « crachat » pour discréditer la parole gênante.

Afrik : Vous vous êtes finalement rendu en Tanzanie ?
François Garçon :
Le fait qu’on m’ait reproché de n’y avoir jamais mis les pieds, m’a donc donné envie d’aller vérifier si les intuitions que j’avais conceptualisées étaient fondées. Une fois là-bas, je me suis aperçu que le mensonge était encore pire que ce que je pensais. On avait les témoignages des personnes présentes dans le film qui affirmaient qu’il les avait utilisées et les avait fait jouer comme des acteurs. On comprend alors qu’on a affaire à quelqu’un de complètement cynique qui pour des raisons purement mercantiles, pour que son film ait un impact commercial, a inventé, derrière le paravent du message et de l’objectivité documentaire, une fiction qui salit les gens. Il faut tout de même préciser que la Tanzanie est un régime démocratiquement élu où cohabitent les musulmans et les chrétiens, un régime qui après une politique socialiste forcenée, a pris de manière pacifique un tour libéral. De ce fait, il mérite un minimum de respect. Il n’a rien à voir avec le Darfour ou la Sierra Léone.

Afrik : Après votre contre-enquête sur place, quels sont selon vous, les conséquences de ce film sur les Tanzaniens en général et les personnages du film en particulier ?
François Garçon :
La première conséquence, c’est que vous êtes très mal reçu parce que vous êtes blanc et qu’avant vous il y a un autre blanc qui est passé et qui les a tous trompés. Les gens étaient très méfiants et suspicieux. Ils n’ont pas été très coopératifs, ce que je comprends parfaitement. La seconde conséquence que nous n’avons pas eu le temps de réellement vérifier puisque nous sommes restés sur place que 12 jours, c’est l’impact des boycotts sur l’exportation du poisson. Désormais, la grande distribution achète le poisson au Vietnam et aux Caraïbes.

Afrik : A la fin du livre, vous renvoyez les lecteurs au site Internet, mwanzainterviews.com, pour quelles raisons ?
François Garçon :
Le site a été crée par un ami. Les choses étaient tellement terribles, que j’ai voulu que les gens puissent par eux-mêmes vérifier l’authenticité de ce que nous rapportons. Je demande aux lecteurs d’avoir le même esprit critique que j’ai eu à l’égard du film. Vous pouvez ainsi voir sur le site les interviews filmées sur des plans fixes, il n’y a pas de coupes ni de montages. C’est la fourniture des preuves au sens juridique du terme.

- François Garçon, Enquête sur le Cauchemar de Darwin, Flammarion, 2006, 262 p.
- Commander le livre

A consulter :

- Mwanza Interview

25 janvier 2007

« Banlieue Voltaire » : une chronique sociale ancrée dans l’actualité

Didier_MandinEntretien avec le romancier, Didier Mandin

samedi 20 janvier 2007

Avec Banlieue Voltaire, Didier Mandin signe son premier roman. Jeune entrepreneur d’origine guadeloupéenne, à la tête de la société de marketing ethnique ak-a et producteur du Tchip Show, le premier sitcom afro-caribéen français, il narre dans son livre une chronique sociale dont l’action se situe dans une banlieue pavillonnaire et multiculturelle de la région parisienne. Il revient, pour Afrik, sur ce roman très ancré dans l’actualité.

Le roman Banlieue Voltaire, publié par les Editions Desnel, raconte à travers le témoignage attendrissant et plein d’humour de Voltaire, narrateur éponyme, la vie de Ludo, un jeune Antillais habitant à Morcy-sur-Marne, une banlieue pavillonnaire de la région parisienne. Il est question ici, à travers cette histoire racontée à une équipe de journalistes désireuse de faire un an d’enquête sur un jeune noir de banlieue qui a réussi brillamment ses études, de mettre en lumière le quotidien d’une bande de banlieusards. Le roman, très drôle, amorce une véritable réflexion sur des sujets d’actualités tels que les religions, la xénophobie, l’envie chez ces jeunes souvent issus de l’immigration, d’aller voir ailleurs. L’auteur, Didier Mandin, est un jeune entrepreneur de 29 ans, créateur avec trois associés d’une agence de marketing ethnique, ak-a, et du premier sitcom afro-caribéen français, Le Tchip Show, diffusé sur le site ak-a.fr. Il signe là son premier roman.

Afrik.com : Comment pourriez-vous résumer votre roman ?
Didier Mandin :
Le roman commence avec l’arrivée d’une équipe de journalistes qui désirent faire un papier sur un jeune noir qui a fait de brillantes études. Ils veulent faire un papier sur un an d’enquête pour montrer qu’en France, on peut être noir et réussir. Seulement, Ludo, le héros du roman, refuse d’être le témoin de sa propre vie et il les renvoie à Voltaire, son meilleur ami qui se fait un plaisir de raconter toutes les histoires, aussi bien celles de Ludo que celles de leurs amis et de tous les habitants de Morcy, ville où se déroule l’histoire parce qu’il est très volubile et très content de parler à des journalistes.

Afrik.com : Justement, Voltaire raconte la vie des autres, mais jamais la sienne. A la fin du roman, on se rend compte qu’on a rien appris sur lui…
Didier Mandin :
Effectivement, on ne sait pratiquement rien de Voltaire. On ne sait pas s’il est noir comme son copain Ludo. On sait à peu près l’âge qu’il a, mais on ne connaît rien de sa vie, ses parents, son background, etc. Je ne peux pas trop parler de ce personnage car il constitue une piste de lecture offerte au lecteur à qui je donne ainsi l’occasion de se faire sa propre opinion sur ce personnage quelque peu mystérieux, il faut le reconnaître.

Afrik.com : On a souvent l’impression en lisant ce roman que vous vous êtes inspiré des émeutes de novembre 2005 dans les banlieues, en particulier les débats qui ont suivi ces événements, tellement le récit est ancré dans l’actualité…
Didier Mandin :
J’ai fini d’écrire le roman deux mois avant le début des émeutes. J’ai été le premier surpris au moment de ces événements, de retrouver tous ces points communs avec le récit de mon roman, notamment le passage où, au cours d’un dialogue entre Ludo et Voltaire, le premier reprend à son compte les paroles d’une chanson des NTM (groupe de rap français) « Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu », mais surtout le sujet de l’enquête menée par l’équipe de journalistes. Après avoir travailler quelques temps dans la Finance, je me suis associé avec des amis pour créer une société de marketing ethnique, Ak-a. De ce fait, nous étions très sensibles à ces problématiques. Nous avions senti venir les choses car nous lisons beaucoup sur ces sujets dans le cadre de notre activité. J’ai vraiment senti qu’il y avait un problème et qu’il allait arriver quelque chose. La thématique du livre, l’envie de voir ailleurs et d’y tenter sa chance, m’est donc venue naturellement.

Afrik.com : Banlieue Voltaire, c’est donc votre premier roman. Vous n’avez pas eu trop de difficultés à vous faire éditer en tant que jeune auteur ? Comment s’est fait la rencontre avec la maison d’édition ?
Didier Mandin :
A vrai dire non. Au départ, je n’avais pas vraiment l’intention de l’envoyer aux maisons d’édition, surtout avec les émeutes qui avaient commencé. J’ai pensé que l’éditeur allait imaginer que je n’avais fait que retranscrire l’actualité. Je l’ai donc laissé de côté. C’est surtout ma famille, notamment ma sœur qui m’a vraiment poussé à tenter ma chance. J’ai donc choisi deux maisons d’éditions, une grande et une plus petite, les Editions Desnel, basée aux Antilles. Et un peu plus d’un mois après je recevais une réponse positive de cette dernière.

Afrik.com : Ce qui frappe aussi dans ce roman c’est la diversité culturelle, le regroupement dans cette petite ville de personnes aux origines multiples mais qui ne se mélangent pas forcément…
Didier Mandin :
C’est quelque chose que j’ai effectivement constaté, notamment dans les rapports amoureux où, dès que les choses deviennent sérieuses, c’est-à-dire dès qu’on parle mariage, fiançailles, etc, tout devient bizarrement compliqué. On a ainsi tendance à revenir vers les « valeurs sûres », celles qui vont rassurer la famille pour ne pas avoir d’ennuis. On n’a pas encore dépassé cela, est-ce qu’il faut le dépasser, je ne sais pas. A côté de ça, on remarque tout de même qu’il y a une véritable mixité culturelle et sociale.

Afrik.com : Ce roman était-il un moyen pour vous de revenir sur le débat amorcé depuis plusieurs mois en France sur la représentativité des Noirs, à travers les destins croisés de certains personnages ?
Didier Mandin :
Comme je l’ai dit précédemment, le roman a été écrit avant tous ces débats mais il est vrai que c’est une question qui me tient à cœur et qu’il me semblait important d’aborder. A ce propos, je pense qu’il ne s’agit pas d’un problème de représentation mais plutôt de représentativité. On commence à peine à voir des Noirs à la télévision, dans les publicités, les émissions sportives…Mais quel type de Noirs montre-t-on ? S’agit-il d’avocats, de docteurs, de chirurgiens ou des acteurs ? Je pense qu’il est important de voir avant tout, qui on met en avant pour créer des repères chez les jeunes noirs de ce pays. Le résultat est que, comme on ne les voit pas, on a l’impression qu’ils n’existent pas. Si on prend par exemple, la question des acteurs français noirs dans les téléfilms, les chaînes avancent souvent l’excuse des téléspectateurs qui ne seraient pas encore prêts. Comment expliquer alors le succès des films ou séries américaines avec de nombreux acteurs noirs américains ? Je vous parle du cinéma comme je pourrais vous parler de la classe politique. Il y a eu évidemment Christine Taubira qui a été mise en avant à cause de sa loi sur l’esclavage mais après, c’est le désert. Si on cherche les hommes politiques noirs en France, il n’y en a pas. Il en existe sûrement, mais on ne leur donne pas la chance d’être visibles ou d’exister simplement. En ce sens, la représentativité est plus importante que la représentation. Il ne suffit pas d’apercevoir les Noirs et les Arabes à la télévision, il faut regarder aussi dans quelle condition on les voit et comment ils sont perçus.

Afrik.com : Considérez-vous donc que le fait qu’Harry Roselmack ait été nommé au 2Oh de TF1 constitue une avancée considérable ?
Didier Mandin :
Quoi qu’on en dise, c’est un fait très important. Ceci dit, il ne s’agit pas d’être dupe, on sait pourquoi TF1 l’a fait. Mais ce qui importe finalement, c’est le talent de Roselmack. Le fait qu’il soit bon dans son domaine et qu’il le prouve fait de lui un modèle à qui des nombreux jeunes noirs ou arabes peuvent désormais se référer. Ils peuvent ainsi continuer à espérer. Malheureusement, il aura fallu que des voitures flambent pour qu’il y ait un tel changement.

Afrik.com : Certains passages du roman pourraient choquer plus d’un, notamment lorsque Voltaire parle des couples mixtes dans les banlieues : « Le Noir est à la mode comme jamais en ce moment. Toutes les filles veulent le leur »…
Didier Mandin :
Malheureusement c’est la vérité, je ne l’ai pas inventé. Le roman est certes une fiction mais je me suis beaucoup inspiré de la réalité. Il y a des jeunes femmes blanches aujourd’hui qui veulent leur bébé métis et qui le reconnaissent ouvertement. Le livre est drôle mais en même temps, il y a des choses qui peuvent peut-être choquer certains mais qui sont vraies. Le Noir est à la mode chez certaines filles blanches, c’est un fait. Certaines se surnomment même « filles à black ». Heureusement, à côté de ça, il existe de réelles histoires d’amour.

Afrik.com : Vous vous montrez aussi particulièrement dur envers la communauté antillaise, lorsque vous affirmez dans le roman, qu’elle ne peut se rassembler que pendant le Grand carnaval. N’avez-vous pas peur de vous la mettre à dos ?
Didier Mandin :
Pas du tout car il y a également des choses positives qui sont dites sur cette communauté dans le roman. J’essaye de rester objectif dans mon regard. Or, je remarque que, jusqu’à présent, il n’y a eu qu’un seul événement qui a réussi à rassembler toute la communauté antillaise, c’est la Grande marche [du 23 mai 1998] à Paris qui avait réellement mobilisé les gens mais, après ça, les deux grands facteurs de mobilisation, restent le Carnaval et le grand Zouk. Je ne vais me mettre personnes à dos dans la mesure où je sais qu’à côté de ça, il y a des gens qui œuvrent, qui essayent vraiment de faire bouger les choses. Je pense cependant que la mobilisation doit être plus forte quand cela est nécessaire. Il y a des choses positives et négatives concernant cette communauté, il faut être en mesure de les dire. Et il me semble personnellement que la communauté ne se mobilise pas assez pour certains sujets graves.

Afrik.com : Le livre aborde à travers le personnage d’Abdou, la question identitaire chez certains jeunes noirs qui, du fait d’une certaine désillusion sociale, se tournent vers les mouvements extrémistes. Etait-ce important pour vous d’en parler ?
Didier Mandin :
Oui car c’est quelque chose que j’ai remarqué sur Internet dans les différentes conversations que j’ai pu avoir sur certains forums. Je sentais qu’il y en avait quelques uns qui passaient à des discours un peu radicaux que je ne comprenais pas vraiment. Avec un peu de recul et d’analyse, j’en arrivais même à me dire que je comprenais leur cheminement intellectuel. Mais je trouve vraiment grave d’en arriver à ces extrémités car il me semble que ce n’est pas une solution en soi. C’est pourquoi le livre tente de faire réfléchir à la fois nos politiques, nos élites et la société en générale sur ces différentes questions. Le roman a été écrit dans cette optique, se questionner sur notre société.

Afrik.com : Vous faites aussi souvent allusion à la vague de départs vers les pays étrangers, souvent anglo-saxons, des jeunes banlieusards issus de l’immigration…
Didier Mandin :
C’est la thématique même du roman, le départ. Tous ces jeunes veulent tenter leur chance ailleurs parce qu’ici, ils n’ont aucune perspectives d’avenir. La France ne fait plus rêver depuis un moment. Lorsque tu es jeune et un peu coloré, les perspectives sont bouchées. On remarque certes quelques changements depuis peu, mais c’était vraiment plus difficile pour les générations précédentes. Les pays anglo-saxons sont plus pragmatiques à ce niveau-là.

Afrik.com : Vous abordez également dans le roman la question de la Constitution européenne. Pensez-vous que c’est un sujet qui intéresse beaucoup ces jeunes ?
Didier Mandin :
Un moment donné dans le roman, Voltaire interroge Ludo à propos de la citoyenneté européenne. Et ce dernier lui répond : « essayons d’abord de voir ce qui se passe en France, on verra après pour l’Europe ». Nous sommes dans un pays où certains n’ont même pas l’impression d’être vraiment Français, enfin on le leur fait comprendre. Alors la citoyenneté européenne ce n’est pas quelque chose qui leur parle forcément. C’est pourquoi ce débat était amusant dans le cadre du roman.

- Commandez Banlieue Voltaire, 171 p, Editions Desnel

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Couverture du roman

2 janvier 2007

Abd Al Malik, militant du « vivre ensemble »

arton10949Entretien avec le rappeur français

mardi 2 janvier 2007

L’immigration, les banlieues, les présidentielles... Abd Al Malik, rappeur, leader du groupe NAP (New African Poets), a bien voulu répondre aux questions d’Afrik.com. Auteur de l’album Gibraltar (Universal, 2006), l’artiste français d’origine congolaise, a récemment remporté la cinquième édition du prix Constantin. Il sera en tournée dans toute la France à partir du mois de février. Interview.

Abd Al Malik, rappeur dont les parents sont natifs du Congo-Brazzaville, est l’auteur de Gibraltar, sorti en juin 2006 en France chez Universal. Membre du groupe NAP (New African Poets), Régis, de son prénom de baptême chrétien, innove avec ce deuxième album solo, en mélangeant rap, poésie, chanson française, slam et jazz. Conscient de son statut d’artiste engagé, cet ancien délinquant des banlieues strasbourgeoises converti au soufisme, - courant mystique de l’islam - , prône dans ses textes ce qu’il appelle le « vivre ensemble », à savoir le dialogue, l’écoute, et la sagesse. Ainsi, cette phrase extraite d’un des morceaux de l’album, Soldat de plomb : « Vive la France arc-en-ciel, unie, débarrassée de toutes ses peurs », est devenue pour lui presque un slogan. Elevé avec ses 6 frères et soeurs par une mère célibataire, Abd Al Malik a vécu pendant quelques années comme un schizophrène, partagé entre sa vie de « petit dealer » et celle d’un élève brillant. En 2004, il sort son premier album solo, Le face à face des coeurs, ainsi qu’un ouvrage autobiographique sur sa quête spirituelle, Qu’Allah bénisse la France (Albin Michel). Il vient de recevoir pour Gibraltar, le prix Constantin récompensant les nouveaux artistes qui ont marqué l’année par leur « talent et leur originalité ». Le rappeur qui sera en tournée dans toute la France à partir de février 2007, a répondu aux questions d’Afrik.com.

Afrik.com : Pourquoi avoir choisi le titre de Gibraltar ?
Abd Al Malik :
Pour plein de raisons. D’abord d’un point de vue de l’image, la métaphore me semblait nécessaire pour parler du lien entre les êtres humains, entre les cultures, les générations, mais aussi les milieux sociaux. Il me parait important que nous sortions de nos divisions, de nos limites, limitations somme toutes artificielles. Ce qui m’intéressait aussi, c’était de dire que le Nord regarde le Sud avec une certaine condescendance, et que le Sud perçoit le Nord comme un eldorado, en oubliant que nous sommes tous des êtres humains qui rêvent, pour certains de l’épanouissement, d’avoir une famille, de vivre une vie de façon tout à fait décente. Souvent au Nord on oublie ça et au Sud, ils pensent qu’ici c’est l’endroit où tout est possible, ce qui n’est pas nécessairement vrai non plus. Le Nord oublie la responsabilité qu’il a, celle d’aider le Sud, où les gens désespérés sont dans une vision de « l’à tout prix ». Alors qu’en réalité, il suffirait juste qu’ils comprennent qu’on peut faire des choses tous ensemble tout en restant là-bas. Hors le fait qu’il n’ y ait pas cette coopération entre le Nord et le Sud, des familles entières se déciment, des gens sont prêts à tout pour venir ici. Je voulais parler de tout ça et de cette notion de lien qui peut être aussi un point de rupture. Si loin et si proche à la fois. Je voulais aussi parler de la réalité, ici. C’est donc pour toutes ces raisons que j’ai appelé cet album Gibraltar.

Afrik.com : Comment le Nord devrait aider le Sud ?
Abd Al Malik :
En comprenant d’abord que la diversité aujourd’hui pour le Nord, l’Occident, n’est pas une tare mais plutôt un cadeau, une chance. On se retrouve ici avec des gens qui sont français parce qu’ils ont vécu dans ce pays, parce qu’ils l’aiment et qu’ils ne connaissent que celui-là. Mais en même temps leurs racines sont au Sud, l’Afrique noire, le Maghreb… Il y a donc un rapport de l’affectif qui fait que si nous, dont les parents sont originaires du Sud, nous pouvons avoir des fonctions clés que ce soit en politique, dans le journalisme. Nous pourrions alors travailler ensemble, réfléchir ensemble à ce que nous pourrons faire concrètement pour faire évoluer les choses parce qu’il y aura un affect fort. N’oublions pas que si nous voulons que les choses avancent au Sud, il faut qu’il y ait avant tout une volonté politique, et que cette volonté politique doit partir d’ici. Si par exemple demain, on a des politiciens dont les parents sont originaires d’Afrique, du Congo, du Sénégal, du Maroc, de l’Algérie et autres, forcément il y aura cette envie de faire évoluer les choses dans ces pays. C’est dans ce sens je pense que les choses devraient avancer. Evidement, aujourd’hui nous sommes dans une société de l’immédiateté, de la « news », où les choses vont vite. Or, cette évolution dont je viens de parler ne pourra se faire que sur du long terme. Et puis n’oublions pas qu’à l’échelle de l’humanité, dix ou quinze ans, c’est rien du tout.

Afrik.com : Toujours sur ce thème des rapports Nord-sud, que pensez-vous de la politique d’immigration mise en place par le Ministre français de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy et du fait qu’il ait décidé d’en faire le thème principal de sa campagne pour les Présidentiels de 2007 ?
Abd Al Malik :
Personnellement, je ne suis pas un politique, si je m’exprime c’est en tant que citoyen. Je pense que l’homme politique doit surtout travailler au « vivre ensemble » et au fait de donner la possibilité d’avoir des liens particuliers avec les pays que la France a colonisé. Elle a donc comme je viens de le dire, la responsabilité d’aider ces pays qui vivent des difficultés afin qu’ils puissent aller mieux, mais toujours avec des actions où on respecte l’autre en tant qu’individu ou être humain. Il ne s’agit pas seulement d’aller piocher des gens et de jouer avec leur vie sous les prétextes de l’appât du gain et d’une soi-disant chance qu’on donnerait aux autres. C’est important de respecter les autres, qu’on soit politicien ou non.

Afrik.com : En parlant des fonctions clés que les jeunes dont les parents sont originaires du Sud pourraient occuper à long terme avec un peu de patience, vous abordez ainsi en filigrane la question de la discrimination. Or on s’aperçoit que depuis des années rien n’a véritablement changé pour ces jeunes, mêmes diplômés…
Abd Al Malik :
Oui et non parce que si on prend par exemple ce qui s’est passé dans les banlieues en novembre 2005, on se dit que si les choses ne changent pas, cette fois il pourrait réellement y avoir une guerre civile en France. Si les politiques ne prennent pas la mesure de ce qui est en train de se passer, de ce mouvement sociétal, ils verront que la dernière fois, ce n’était rien. Parce qu’il y aura des personnes comme vous, comme moi, qui, outrées, seront prêtes à sortir dans les rues. Et c’est là qu’il y aura un véritable problème, parce qu’à l’automne 2005 il s’agissait surtout d’enfants. Mais si demain des personnes sensées et posées en temps normal se disent qu’on ne pourra faire avancer les choses que par la violence, - parce qu’il ne faut pas oublier que nous sommes dans le pays de la Révolution française -, ça pourrait être très grave. Je pense donc qu’aujourd’hui la situation est différente de l’époque où nous étions jeunes. Maintenant, on a affaire à des jeunes qui ne connaissent pas leur pays d’origine, même s’ils sont noirs ou originaires du Maghreb, ils ne connaissent que le mode de fonctionnement de ce pays, et si les choses ne bougent pas, ça peut vraiment être très grave. J’espère que les politiques vont prendre la mesure de cette situation.

Afrik.com : Beaucoup d’artistes, notamment des rappeurs, ont appellé les jeunes de cité à aller s’inscrire sur les listes électorales. Vous inscrivez-vous dans cette vague ? Pensez-vous que la révolution dont vous parliez pourrait justement se faire par le vote ?
Abd Al Malik :
Effectivement, je suis de ceux-là mais j’insiste sur le fait que voter ne signifie pas détruire, mais plutôt construire. C’est-à-dire qu’à partir du moment où on part voter en se disant « je vais tous les niquer », il y a un problème. Je suis d’accord pour dire que c’est important de voter à condition de bien comprendre que voter est un acte positif. Je pense donc qu’il est important de leur expliquer avant tout ce que voter signifie dans nos institutions, leur expliquer les notions de démocratie, de laïcité et les notions républicaines…Qu’est ce que voter implique, comment fonctionne nos institutions d’un point de vue ministériel, régional…Il faut leur expliquer les choses. Dire à ces jeunes « allez voter » juste pour aller voter, ne me semble pas judicieux.

Afrik.com : Comment leur expliquer alors ? Faut-il, par exemple, renforcer l’enseignement de l’éducation civique à l’école ?
Abd Al Malik :
Bien sûr, il faut renforcer cela, il y a beaucoup d’autres choses à faire. Il faut expliquer partout ce qu’est vraiment le civisme. On peut le faire à l’école, au sein de différentes associations… Mais il faut qu’il y ait véritablement une campagne pédagogique pour expliquer tout ça.

Afrik.com : Il y a également la question des candidats. Parmi les candidats qui se sont déclarés jusqu’à présent pour les Présidentielles de 2007, en existe-il un selon vous qui puisse réellement représenter les intérêts des jeunes de cité ?
Abd Al Malik :
Nous verrons. Ce qui est sûr, c’est que les jeux ne sont pas encore faits. Personnellement, je ne suis pas un politique, je suis un artiste, je ne suis ni de Gauche ni de Droite. Je suis avec toutes les femmes et les hommes de bonne volonté, ceux qui voudront faire avancer les choses. Je suis avec ceux qui voudront relever, à l’ère de la mondialisation, le défi le plus important de notre époque : celui qui se pose aujourd’hui en France, à savoir le défi du « vivre ensemble ». Comment faire pour que nous puissions tous vivre ensemble en harmonie, en paix et que nous puissions construire ensemble ? C’est ce qui me semble le plus important. Après, le reste, nous verrons ce que chaque candidat propose, et nous essayerons ensuite d’aller voter pour ceux qui seront au plus près dans cette démarche-là.

Afrik.com : Vous qui prônez l’idée du « vivre ensemble », que pensez-vous en tant que noir et musulman de France, de cette sorte d’islamophobie et de la libéralisation de la parole raciste actuellement en vogue dans ce pays, notamment chez les personnages publics ? Le dernier en date étant Pascal Sevran…
Abd Al Malik :
Pour moi ces gens-là sont d’une autre époque, il faut regarder leur âge, ce sont des gens qui ne se rendent pas compte que la France d’aujourd’hui n’est plus la même que celle d’hier, comme le monde d’aujourd’hui n’est plus le même que celui d’hier. J’ai du respect pour ces gens en tant qu’êtres humains, y compris Pascal Sevran, mais je pense qu’ils sont dépassés. Aujourd’hui, il faut comprendre que la France est arc-en-ciel. Et il faut réussir à faire en sorte que cette vision arc-en-ciel se fasse dans l’harmonie. Si on ne fait pas ce qu’il faut pour que les gens puissent vivre ensemble en harmonie, on va créer du communautarisme et des personnes qui vont se battre les unes contre les autres au lieu de construire ensemble. Donc, selon moi, les paroles de ces gens d’une autre époque sont dépassées, leur discours est celui d’un autre temps. Lorsque je les écoute, je ne suis pas touché, parce que je considère qu’ils n’ont plus d’impact. On les écoute parce que nous sommes dans une société du sensationnel, de la « news » et de la provocation mais sinon ils n’ont aucun impact.

Afrik.com : On voit souvent les artistes, notamment les rappeurs, s’exprimer sur des sujets politiques ou d’actualité. Pensez-vous qu’un artiste se doit toujours d’avoir un discours politisé ou engagé ?
Abd Al Malik :
Parler d’artiste engagé est un pléonasme car, selon moi, un artiste est toujours engagé. Même un chanteur de charme est engagé parce que nous sommes mis en lumière, on nous pose des questions et les gens peuvent se référer à cela et se construire au travers de nos réponses. Donc l’engagement est fatalement lié à la notion d’artiste. Celui que je considère comme l’artiste par excellence, c’est Socrate car il ne donne pas de réponses, il pose des questions. Le plus important selon moi est donc de comprendre que les réponses sont en chacun de nous et que, nous, les artistes, nous ne sommes pas là pour donner des réponses mais pour poser des questions. Cela ne veut cependant pas dire que nous ne devons pas être responsables, que nous devons vivre hors du monde ou de la société. Par exemple, quelqu’un comme Albert Camus, à la fois il avait une démarche esthétique, littéraire, philosophique mais en même temps, il dénonçait la façon dont étaient traités les musulmans en Algérie, idem pour Sartre qui allait battre le pavé avec les ouvriers. En bref, notre statut d’artiste n’enlève pas le fait que nous sommes aussi des citoyens comme peuvent l’être par exemple un boucher, un facteur et même celui qui n’a pas de travail.

Afrik.com : A l’exception près que les propos d’un artiste ont plus de poids que celui d’un boucher …

Abd Al Malik : Bien évidemment, parce qu’il est mis en lumière par les médias qui retransmettent son discours qui sera ensuite écouté par des milliers de gens. C’est pour cette raison qu’il est important de prendre conscience de la responsabilité que nous avons en tant qu’artiste. Mais à chacun sa pierre, grosse ou petite, c’est ce qui va nous permettre à terme de construire l’édifice qui va nous protéger des intempéries et du mauvais temps.

Afrik : Pour en revenir à l’album, lorsqu’on écoute les paroles, on devine un véritable travail d’écriture derrière. Les textes sont structurés sous forme de scénario avec des intrigues... Etait-ce volontaire ?
Abd Al Malik :
Complètement. Je suis un fou de littérature. J’apprécie énormément des auteurs comme Raymond Carver. Je voulais vraiment écrire ce disque comme un livre, qu’il soit comme une sorte de recueil de nouvelles avec des petites histoires. C’est ce qui m’intéressait véritablement. Il y avait donc effectivement cette velléité littéraire car cette écriture m’intéresse beaucoup.

Afrik.com : D’où vous vient justement ce goût pour la littérature ?
Abd Al Malik :
J’ai eu cette chance d’être tombé amoureux des livres très tôt, très jeune. Les livres m’ont sauvé la vie d’une certaine manière, ils m’ont permis de transcender ma condition et de comprendre que l’humanité ne s’arrêtait pas aux frontières de ma cité. Ils m’ont également permis de connaître l’histoire de mes ancêtres. J’ai ainsi pu lire Cheikh Anta Diop, René Maran, Césaire, Senghor mais aussi des philosophes antiques tels qu’Epictèque, Senèque, des philosophes de la déconstruction comme Foucault, Deleuze, Derrida ou encore des auteurs comme Camus, Sartre, Carver…Ce sont des lectures qui m’ont porté et aidé.

Afrik.com : Vous êtes vous-même auteur d’un livre autobiographique sorti en 2004, Qu’Allah bénisse la France. Avez-vous d’autres projets d’écriture ?
Abd Al Malik :
Je vais effectivement sortir un livre prochainement qui va s’intituler Le livre rouge du rap où je parle du rap en tant que musique et du hip hop en tant que culture. C’est entre le roman et l’essai.

Afrik.com : A propos du hip hop comme culture, on a vu apparaître ces derniers temps en France l’émergence du slam. Comment expliquez selon vous, l’engouement du public et des médias pour le slam ?
Abd Al Malik :
Personnellement, je suis avant tout un rappeur, j’ai utilisé dans mon album le slam comme j’ai utilisé la chanson ou le jazz mais je suis rappeur. S’il y a cet engouement autour du slam, c’est parce que cela correspond à un besoin aujourd’hui. On parlait tout à l’heure du fait que nous vivons dans une société de l’immédiateté, de la « news », je pense qu’aujourd’hui les gens ont envie de s’arrêter, d’écouter, vraiment. Avec le slam le verbe est remis en avant, on est devant les mots. Il permet de s’exprimer. Je pense que les gens ont vraiment besoin de s’écouter, de parler et de se dire les choses. Mais encore une fois, je ne suis pas un slammeur, mais plutôt un rappeur. Ma culture c’est celle du hip hop et ma musique c’est le rap. Je suis un MC et un MC est capable de slammer, de freestyler, de rapper… Et c’est ce qui m’intéresse.

Afrik.com : Cet album mélange fiction et autobiographie…
Abd Al Malik :
C’est un album totalement autobiographique même si dans un morceau comme « Saigne », histoire d’une bavure policière qui a vraiment eu lieu, je mets des éléments fictionnels. Comme fatalement je ne pouvais pas savoir ce que pensaient le policier et mon ami décédé ou encore le garagiste qu’il a vu juste avant de mourir, j’ai du faire travailler mon imagination. Mais à la base, il s’agit bien d’une histoire vraie.

Commander l’album :
Abd Al Malik, Gibraltar, Universal, 2006

7 novembre 2006

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